La qualité de partie plaignante par succession

La qualité de partie plaignante par succession est réglée de manière claire, détaillée et exhaustive à l’art. 121 al. 1 CPP. Il n’y a pas de lacune (proprement dite) de la loi. Les héritiers de la partie plaignante qui ne sont pas expressément des proches listés à l’art. 110 al. 1 CP ne peuvent pas invoquer les droits de procédure de la partie plaignante. Cette approche est largement critiquée par la doctrine. Bien qu’il confirme ici son interprétation restrictive de la loi, le Tribunal fédéral n’exclut pas, dans certains cas, l’hypothèse d’un changement de sa jurisprudence en la matière.

I. En fait

En novembre 2019, le Tribunal correctionnel de l’arrondissement de Lausanne a libéré D des chefs d’accusation d’usure par métier, subsidiairement de vol par métier et d’escroquerie par métier, et a rejeté les conclusions civiles prises par E, partie plaignante. E a formé appel contre ce jugement et est décédée en cours d’instance. Ses héritiers – A, B et C, nièces et neveux de E –, ont transmis leurs déterminations à la Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal vaudois. Ils ont notamment conclu au rejet de la requête de D qui tendait à déclarer l’appel irrecevable. 

Par jugement du 8 juillet 2020, la Cour d’appel a considéré que l’appel de E était recevable car ses prétentions civiles sont passées à ses héritiers, A, B et C. Elle l’a toutefois rejeté sur le fond, confirmant ainsi l’acquittement de D.

A, B et C forment un recours en matière pénale au Tribunal fédéral. 

II. En droit

La question qui se pose en l’espèce a trait à la qualité pour recourir de A, B et C, en tant qu’héritiers de la partie plaignante.

Le Tribunal fédéral commence par rappeler les principes qui régissent la qualité pour recourir de la partie plaignante (art. 81 al. 1 let. a et b ch. 5 LTF). Il insiste sur la qualité de lésé direct qu’elle doit revêtir (art. 115 CPP, art. 118 al. 1 CPP, ATF 141 IV 1, c. 3.1). Les successeurs d’une personne physique ou morale lésée sont considérés comme des lésés indirects, qui en principe (sous réserve des exceptions de l’art. 121 CPP) ne peuvent se constituer partie plaignante dans la procédure pénale (ATF 146 IV 76, c. 2.2.1).

Le Tribunal fédéral poursuit par l’analyse de l’art. 121 CPP qui règle la transmission des droits des parties plaignantes. On y distingue deux cas de figures : 

  • la personne subrogée de par la loi aux droits du lésé ne peut qu’introduire une action civile et faire valoir les droits de procédure qui se rapportent directement aux conclusions civiles (art. 121 al. 2 CPP).

Il convient ainsi de faire la distinction entre la notion de succession matérielle de droit privé et celle de qualité de partie dans la procédure civile ou pénale (ATF 140 IV 162, c. 4.4). La transmission des droits procéduraux selon l’art. 121 al. 1 CPP et la titularité matérielle des droits dans la succession ne se recoupent pas nécessairement (TF 6B_27/2014 du 10.4.14 c. 1.2) (c. 3.1).

En l’espèce, il n’est pas contesté que les recourants, nièces et neveu de E, en sont les héritiers légaux (art. 459 CC). Matériellement, ils sont donc titulaires des créances de celle-ci. En revanche, comme ils ne sont pas des proches au sens des art. 121 al. 1 CPP cum art. 110 al. 1 CP, l’application de l’art. 121 al. 1 CPP est exclue. Par conséquent, ils ne peuvent pas exercer les droits procéduraux de la défunte dans le procès pénal en vertu de cette disposition (c. 3.2).

Le second cas de figure est également exclu en l’espèce car, à teneur de leur mémoire de recours, les recourants remettent en cause l’acquittement de l’intimée, ce qu’ils ne sont pas autorisés à faire dans l’hypothèse de l’art. 121 al. 2 CPP. Ainsi, le Tribunal fédéral s’épargne la question de savoir si la succession pour cause de mort pourrait être considérée comme un cas de subrogation légale au sens de l’art. 121 al. 2 CPP (c. 3.8).

Le Tribunal fédéral nie la qualité pour recourir des héritiers de E. Ils ne peuvent pas se prévaloir du statut de partie plaignante par succession. Le Tribunal fédéral souligne en outre que l’autorité cantonale n’aurait pas dû entrer en matière sur le recours. C’est à tort qu’elle a considéré qu’il existait une lacune de la loi dans le cas où le décès de la partie plaignante survient après le dépôt de son appel. Selon l’autorité cantonale, dans ce cas, l’application de l’art. 121 al. 1 CPP cum art. 110 al. CP entraînerait un résultat matériellement injuste envers les héritiers qui ne sont pas des proches. Or pour le Tribunal fédéral cette interprétation de la loi est incorrecte (c. 3.3 et 3.7).

En effet, dans un ATF 140 IV 162, le Tribunal fédéral a déjà jugé qu’il n’y avait pas de lacune (proprement dite) de la loi en ce qui concerne la réglementation de la qualité de partie plaignante par succession. Cette question est réglée de manière systématique, détaillée et exhaustive dans la loi (cf. Titre 3 du CPP). Selon l’art. 121 al. 1 CPP, les héritiers du lésé de rang inférieur sont exclus de la qualité de partie plaignante par succession (ATF 140 IV 162, c. 4.7-4.9). En outre, contrairement à ce que soutient l’autorité inférieure, on ne saurait prétendre que les règles définissant la qualité de partie dans la procédure civile (art. 83 al. 1 et al. 4 CPC) seraient applicables à la procédure pénale (FF 2006 1057, 1141). Le législateur n’a pas prévu non plus d’exceptions en ce qui concerne les infractions contre le patrimoine (ATF 140 IV 162, c. 4.8.1 ; FF 2006 1057, 1149 ss) (c. 3.5).

À rigueur du texte de l’art. 121 al. 1 CPP, une action civile adhésive suppose que tous les membres de la communauté héréditaire soient des proches au sens de l’art. 110 al. 1 CP. Lorsque seule une partie des héritiers dispose de la qualité de proches, l’hoirie ne peut agir que devant les tribunaux civils, ce que la doctrine critique largement (problématique du « hiatus entre légitimation procédurale et légitimation matérielle » que crée l’art. 121 al. 1 CPP : cf. Perrier Depeursinge/Garbarski/Muskens, Action civile adhésive au procès pénal no man’s land procédural ?, in : SJ 2021 II 185, 192 ; Perrier Depeursinge, Lésé, victime et action civile au pénal : questions choisies, in : Bohnet/Dupont/Kuhn (édit.), Dix ans de Code de procédure pénale, CEMAJ, Bâle 2020, 97 ss, 124 ss ; Garbarski, Le lésé et la partie plaignante en procédure pénale: état des lieux de la jurisprudence récente, SJ 2013 II 123, 133 s) (c. 3.6).

Sans rejeter ces critiques, le Tribunal fédéral explique que les conditions d’un revirement de jurisprudence en faveur d’une interprétation extensive de la loi (qui permettrait une action civile adhésive de l’hoirie composée en partie seulement de proches au sens de l’art. 110 al. 1 CP), ne sont pas réunies. La doctrine – citée par le recourant – ne fait état d’aucune circonstance qui aurait évolué ou que le Tribunal fédéral aurait à tort ignorée depuis l’arrêt publié aux ATF 140 IV 162. En tout état de cause, cela ne changerait rien à l’issue du présent litige car l’hoirie dont il est question ici n’est composée d’aucun proche au sens de l’art. 110 al. 1 CP (c. 3.7).

En définitive, le recours est irrecevable, faute pour les recourants de disposer de la qualité pour recourir (art. 81 al. 1 ch. 5 et 6 LTF).

III. Commentaire

Le Tribunal fédéral laisse deux questions importantes ouvertes. Une évolution de la jurisprudence peut être envisagée dans des cas futurs.

Premièrement, la possibilité d’admettre la transmission des droits de procédure au sens de l’art. 121 al. 1 CPP à une hoirie composée seulement en partie de proches au sens de l’art. 110 al. 1 CP n’a pas été exclue par le Tribunal fédéral. Même si le cas d’espèce ne présentait pas la configuration visée puisque l’hoirie n’était composée d’aucun proche au sens de l’art. 110 al. 1 CP, les juges fédéraux mettent les praticiens sur la voie de la situation de fait envisagée et de la démonstration juridique attendue.

Secondement, le Tribunal fédéral s’est demandé, sans toutefois y répondre, si la succession pour cause de mort pouvait être considérée comme un cas de subrogation légale au sens de l’art. 121 al. 2 CPP. Dans un tel cas, les héritiers légaux – indépendamment de la définition de proches de l’art. 110 al. 1 CP – pourraient invoquer les (seules) prétentions civiles du lésé décédé dans le cadre d’une action civile adhésive. Affaire à suivre.

Proposition de citation : Mona Rhouma, La qualité de partie plaignante par succession, in : https://www.crimen.ch/109/ du 31 mai 2022