Expulsion d’un étranger vers un État tiers sans examen de son droit à y séjourner

L’expulsion pénale d’un étranger (art. 66a CP) vers un « État tiers » doit être possible, ce qui suppose qu’il y bénéficie d’un droit de séjour. Lorsqu’elle est prononcée « vers un pays tiers » sans précision quant à l’État de destination, si ce n’est qu’il ne peut s’agir de l’État où l’étranger ne peut être renvoyé en raison du principe de non-refoulement, l’expulsion est contraire au droit fédéral.

I. En fait

Ressortissant du Tibet sans passeport de la République populaire de Chine, A est arrivé en Suisse à l’âge de 12 ans. Au bénéfice d’un permis F, faute de s’être vu octroyer la qualité de réfugié, il est condamné en première instance en 2021 pour différentes infractions par le Tribunal correctionnel de Lausanne qui renonce à son expulsion.

Saisie par le Ministère public, la Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal vaudois prononce l’expulsion de A vers un pays tiers, à l’exclusion de la République populaire de Chine.

A attaque cet arrêt en portant sa cause par-devant le Tribunal fédéral.

II. En droit

Le Tribunal fédéral commence par rappeler la teneur de l’art. 66a al. 2 CP permettant au juge de renoncer à expulser un étranger dans des cas exceptionnels, à savoir lorsque l’expulsion le mettrait dans une situation personnelle grave et si les intérêts publics à son expulsion ne priment pas son intérêt privé à rester en Suisse (c. 2.1). Exigeant la réunion de ces deux conditions cumulatives, cette clause de rigueur doit en outre être appliquée de manière restrictive en s’inspirant des critères énoncés à l’art. 31 OASA. Ceux-ci ne sont toutefois pas exhaustifs et les perspectives de réinsertion sociales du condamné doivent également être prises en compte (c. 2.1.1).

Au-delà d’une ingérence au droit au respect de la vie privée (art. 13 Cst. et art. 8 CEDH), les violations des garanties du droit international, à l’instar du principe de non-refoulement, ne peuvent être ignorées dans l’examen du cas de rigueur. À cet égard, le Tribunal fédéral précise que :

« Les éventuels obstacles à l’expulsion, au sens de l’art. 66d al. 1 CP, doivent déjà être pris en compte au moment du prononcé de l’expulsion, pour autant que ces circonstances soient stables et puissent être déterminées de manière définitive » (c. 2.1.2).

Dans un second temps, le Tribunal fédéral revient sur l’art. 66d al. 1 let. b CP prévoyant le report de l’exécution de l’expulsion obligatoire, ce de façon absolue pour toute personne lorsque des règles impératives du droit international s’opposent à l’expulsion, c’est-à-dire indépendamment de la reconnaissance de son statut de réfugié par la Suisse. Notre Haute Cour précise que le principe de non-refoulement découlant des normes de droit international (menschenrechtliches Nonrefoulement-Prinzip) est absolu et vaut indépendamment des infractions commises ou du potentiel de dangerosité de l’auteur (c. 2.1.3).

Le report de l’expulsion est fondé sur le principe du non-refoulement relevant du droit international impératif, mais aussi l’art. 3 par. 1 Convention contre la torture, l’art. 3 CEDH et l’art. 25 al. 3 Cst. Ces dispositions défendent le refoulement d’un étranger à destination d’un État où il risque la torture ou tout autre traitement ou peine cruels, inhumains ou dégradants (c. 2.1.5).

Après avoir présenté le raisonnement de l’autorité inférieure (c. 2.2), notre Haute Cour écarte le grief du recourant quant à la non-inscription de son expulsion du Système d’information Schengen (SIS) due à une inadvertance qui ne pouvait être rectifiée. Cette absence bénéficiant au recourant, ce dernier ne jouit dès lors pas d’un intérêt protégé à la contester (c. 2.3).

Le Tribunal fédéral en vient au cœur de l’affaire et constate tout d’abord que c’est à juste titre que l’autorité inférieure n’a pas prononcé l’expulsion du recourant vers la République populaire de Chine où il existe un risque qu’il y subisse un traitement contraire aux art. 25 al. 3 Cst. et 3 CEDH (c. 2.4 2e par.).

Ensuite, en tenant pour possible l’expulsion du recourant dans un « pays tiers » en se référant à la réponse du Conseil fédéral à l’interpellation parlementaire 17.3917 (Sécurité des procédures liées au renvoi des requérants d’asile tibétains déboutés), la juridiction d’appel n’a offert aucune précision à cet égard, laissant ainsi penser que l’expulsion pouvait avoir lieu vers n’importe quel autre pays que la Chine. Or il s’agit d’une approche abstraite qui ne peut être suivie. En effet, une expulsion ne peut reposer sur « de simples spéculations » en relation au pays de renvoi. Rien dans le jugement entrepris ne laisse entrevoir que le recourant pourrait obtenir un permis de séjour dans un autre pays, ce d’autant plus que l’autorité inférieure constate que le recourant n’entretient aucun lien avec d’autres États que la Suisse et son pays d’origine (c. 2.4 2e par.).

La notion d’« État tiers » dans lequel les Tibétains peuvent se rendre selon l’interpellation précitée doit être comprise au regard du droit des étrangers. Cela signifie que le renvoi d’un étranger dans un État tiers doit être possible (art. 83 al. 1 et 2 LEI) et donc qu’il y dispose d’un droit de séjour. Partant, l’« État tiers » ne peut être « n’importe quel autre État » sans précision aucune (c. 2.4 2e par.).

En définitive, l’arrêt entrepris est contraire au droit fédéral et il est réformé, en ce sens qu’il est renoncé à l’expulsion du recourant (c. 2.4 3e par.). Le recours est donc admis dans la mesure de sa recevabilité (c. 3).

Proposition de citation : Kastriot Lubishtani, Expulsion d’un étranger vers un État tiers sans examen de son droit à y séjourner, in : https://www.crimen.ch/184/ du 2 mai 2023