Signalement à des fins d’expulsion dans le Système d’information Schengen : inapplicabilité du principe de non-rétroactivité de la loi pénale

Dans la mesure où les principes de non-rétroactivité de la loi pénale et de la lex mitior (art. 2 al. 1 et 2 CP) s’appliquent aux dispositions légales posant les conditions d’une incrimination et prévoyant des sanctions (soit les peines et mesures applicables), ils n’entrent pas en ligne de compte s’agissant du signalement à des fins d’expulsion dans le Système d’information Schengen (SIS). Et pour cause, le signalement relève du droit d’exécution et ne constitue pas une sanction, contrairement à l’expulsion pénale per se (art. 66a ss CP). La nécessité du signalement doit être évaluée à l’aune du droit en vigueur au moment du prononcé de l’expulsion pénale.

I. En fait

A est condamné en première instance à une peine privative de liberté et à une amende pour diverses infractions, dont une rupture de ban (art. 291 CP). Une expulsion à vie du territoire est également prononcée à son encontre, assortie de l’inscription de ladite expulsion dans le Système d’information Schengen (SIS). Cette décision est confirmée en appel par le tribunal cantonal vaudois, au regard des faits suivants principalement : A est un ressortissant du Royaume-Uni qui dispose d’un domicile dans ce pays et se déplace fréquemment en Suisse. Son casier judiciaire suisse comporte huit inscriptions, notamment pour vol, dommages à la propriété, et entrée et séjour illégaux, auxquelles s’ajoutent des inscriptions dans ses casiers judiciaires allemand et britannique. Une expulsion du territoire suisse pour une durée de 10 ans avait été prononcée à son égard trois ans avant l’affaire ici en cause, expulsion qu’il n’avait donc pas respectée.

A recourt devant le Tribunal fédéral en demandant la réforme du jugement de l’instance cantonale, en ce sens que son expulsion à vie du territoire suisse ne soit pas inscrite dans le SIS.

II. En droit

Le recourant britannique argue que les faits fondant sa condamnation sont partiellement survenus avant le Brexit et entièrement antérieurs à la sortie du Royaume-Uni de l’espace Schengen. Partant, il ne devrait pas être jugé comme un ressortissant d’un État tiers et l’inscription de son expulsion du territoire suisse dans le SIS violerait l’interdiction de rétroactivité de la loi pénale et le principe de la lex mitior (art. 2 al. 1 et 2 CP). Elle serait également contraire aux art. 3 ch. 4 et 24 al. 1 et 2 du Règlement (UE) 2018/1861 du Parlement européen et du Conseil sur l’établissement, le fonctionnement et l’utilisation du système d’information Schengen (SIS) dans le domaine des vérifications aux frontières (c. 1.1).

Selon l’art. 3 ch. 4 du Règlement (UE) 2018/1861, l’expression ressortissant de pays tiers désigne « toute personne qui n’est pas citoyen de l’Union au sens de l’article 20, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, à l’exception des personnes qui sont bénéficiaires, en vertu d’accords conclus entre l’Union, ou l’Union et ses États membres, d’une part, et des pays tiers, d’autre part, de droits en matière de libre circulation équivalents à ceux des citoyens de l’Union ». Le signalement d’une non-admission et d’une interdiction de séjour par un État membre est soumis à deux conditions alternatives prévues à l’art. 24 par. 1 du Règlement, dont : l’État membre a conclu, sur la base d’une évaluation individuelle, que la présence du ressortissant sur son territoire présente une menace pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale, et les autorités judiciaires de l’État membre ont, conséquemment, prononcé la non-admission et l’interdiction de séjour sur la base de son droit national, ainsi qu’un signalement (let. a) (c. 1.2.2).

Le Tribunal fédéral rappelle la teneur de l’art. 2 al. 1 CP, consacrant l’interdiction de la rétroactivité de la loi pénale : cette dernière ne s’applique qu’aux faits commis après son entrée en vigueur. Tempérant ce principe, l’art. 2 al. 2 CP prévoit l’exception dite de la lex mitior, selon laquelle la nouvelle loi s’applique si l’auteur est mis en jugement après son entrée en vigueur et qu’elle lui est plus favorable (ATF 147 IV 241, c. 4.2.1). Ces deux principes s’appliquent à l’ensemble des dispositions légales posant les conditions d’une incrimination et prévoyant des sanctions, peines et mesures applicables (ATF 117 IV 369, c. 4d) (c. 1.2.1).

Le Tribunal fédéral note que le signalement à des fins d’expulsion dans le SIS relève du droit d’exécution (ATF 146 IV 172, c. 3.3.4). Eût-il des conséquences importantes pour la personne touchée, le signalement ne constitue pas pour autant une sanction, à l’inverse de l’expulsion elle-même au sens des art. 66a ss CP. Pour cette raison d’ailleurs, tel que ceci a été décidé lors de l’adoption de l’ordonnance sur la mise en œuvre de l’expulsion pénale, le signalement de l’expulsion dans le SIS n’est pas réservé à la juridiction pénale jugeant la cause au fond, mais peut être délégué à une autorité d’exécution (le SEM). Par voie de logique, l’interdiction de la reformatio in pejus (art. 391 al. 2 CPP) ne s’applique pas non plus au signalement de l’expulsion dans le SIS, le but de cette interdiction étant d’empêcher le prononcé d’une sanction plus sévère en appel (c. 1.5).En conclusion, le signalement à des fins de non-admission ou d’expulsion dans le SIS ne constitue pas une sanction et ne peut se voir appliquer les mêmes principes que l’expulsion. Dans la mesure où le signalement dans le SIS ressortit au droit d’exécution, sa nécessité doit être évaluée à l’aune du droit en vigueur au moment du prononcé de l’expulsion pénale. In casu, le jugement pénal a été rendu lorsque le Royaume-Uni  n’était plus un État Schengen, si bien qu’il se justifiait de considérer le recourant comme un ressortissant de pays tiers au sens du Règlement (UE) 2018/1861. Le moment de la commission des infractions ayant mené au prononcé de l’expulsion n’est pas pertinent et les principes de non-rétroactivité et de la lex mitior (art. 2 CP) ne sont pas applicables (c. 1.6). Le recours est donc rejeté (c. 2).

Proposition de citation : Camille Montavon, Signalement à des fins d’expulsion dans le Système d’information Schengen : inapplicabilité du principe de non-rétroactivité de la loi pénale, in : https://www.crimen.ch/203/ du 28 juillet 2023