Pas de retrait de l’appel en raison de l’usage du droit de refuser de collaborer

La prévenue qui, lors des débats d’appel, fait croire à des problèmes d’ouïe qui l’empêchent de comprendre certaines questions ne fait en réalité qu’exercer son droit de refuser de collaborer (art. 113 al. 1 CPP). La juridiction d’appel ne peut pas considérer qu’elle se désintéresse de la procédure et appliquer par analogie la fiction du retrait de l’appel prévue à l’art. 407 al. 1 CPP.

I. En fait

A est condamnée en première instance pour conduite sans autorisation. Elle fait appel de cette condamnation devant le Tribunal cantonal zurichois, lequel considère que, vu son comportement lors des débats d’appel, A a fait part de son désintérêt pour la suite de la procédure et qu’elle a ainsi retiré son appel. Le Tribunal cantonal raie la cause du rôle et déclare l’entrée en force du jugement de première instance. A recourt au Tribunal fédéral.

II. En droit    

Le Tribunal fédéral rappelle que le retrait d’un recours, prévu à l’art. 386 al. 2 CPP, doit être exprès et inconditionnel. En principe, le retrait est définitif (art. 386 al. 3 CPP). Il enlève son objet à l’instance de recours, de sorte que la décision attaquée entre en force (ATF 141 IV 269, c. 2.1 et 2.2.3). En outre, l’art. 407 al. 1 CPP prévoit que l’appel est réputé retiré (fiction) si la partie qui l’a déclaré : fait défaut aux débats d’appel sans excuse valable et ne se fait pas représenter (let. a) ; omet de déposer un mémoire écrit (let. b) ; ne peut pas être citée à comparaître (let. c) (c. 2). 

La décision attaquée retient que, lors de l’audience d’appel, A a annoncé souffrir de divers maux (allergies, muqueuses irritées, oreilles) qui l’empêchaient de comprendre les questions des juges. L’audience a alors été déplacée dans une salle plus petite, dans laquelle A a été autorisée à s’asseoir directement devant l’estrade des juges. Malgré cela, elle a continué à dire qu’elle ne comprenait pas ces derniers pour des raisons acoustiques. Il s’est toutefois avéré que A choisissait les questions qu’elle voulait bien comprendre. La raison véritable de son refus de participer n’était donc pas de prétendus problèmes d’ouïe, mais une volonté d’« obstruer » la procédure. A ne pouvait à la fois exiger la tenue d’une procédure d’appel et décider de s’y soustraire de manière sélective. Après plusieurs avertissements, la Cour cantonale a finalement interrompu l’audience et considéré que l’appel avait été retiré (c. 3).

Devant le Tribunal fédéral, la recourante ne parvient pas à démontrer le caractère arbitraire des constatations cantonales sur son état de santé et sa capacité d’audition sélective (« selektive Hörvermögen ») (c. 4). Toutefois, pour les juges fédéraux, cette circonstance ne permettait pas à la Cour cantonale d’interrompre l’audience et de conclure au retrait de l’appel, en l’absence de base légale spécifique. Une telle manière de faire ne pouvait pas se fonder sur l’art. 386 al. 2 CPP, la recourante n’ayant jamais expressément déclaré vouloir retirer son appel. Le Tribunal cantonal semble évoquer la jurisprudence sur la fiction de retrait de l’appel de l’art. 407 al. 1 CPP, selon laquelle le prévenu ne peut exiger la tenue d’une procédure d’appel et, en même temps, refuser d’y collaborer (cf. ATF 148 IV 362, c. 1, in : https://www.crimen.ch/123/; cf. aussi TF 6B_1433/2022 du 17.4.2023, c. 2, destiné à publication, in : https://www.crimen.ch/204/). On ne se trouve toutefois pas dans une telle situation : la recourante a interjeté appel en temps utile, a pu être citée à comparaître aux débats d’appel et s’y est présentée personnellement (c. 5.1).

Enfin, le Tribunal fédéral ne partage pas le raisonnement cantonal selon lequel A aurait, en adoptant un comportement « ambivalent » lors de l’audience d’appel, marqué son désintérêt pour la suite de la procédure (c. 5.2). Certes, la partie qui décide de faire appel d’un jugement de première instance doit exposer son point de vue et accepter de se faire interroger à ce sujet par la juridiction d’appel. Toutefois, le prévenu a le droit de refuser de déposer et de collaborer (art. 113 al. 1 CPP). Il est en principe libre (sous réserve de l’obligation de décliner son identité) de décider si et comment il veut s’exprimer ; il peut choisir de répondre à certaines questions ou, au contraire, refuser toute déclaration et faire usage de son droit au silence. La procédure doit se poursuivre même si le prévenu refuse de collaborer (art. 113 al. 2 CPP) ; elle ne peut être exécutée et close que dans les formes prévues par la loi (art. 2 al. 2 CPP) (c. 5.3 et les références citées). 

En l’occurrence, le comportement de A en audience devait être compris comme l’exercice de son droit de refuser de déposer. Il ne permettait pas au Tribunal cantonal de clore abruptement les débats en raison d’un manque de coopération de la prévenue et de considérer que celle-ci avait retiré son appel. Au contraire, la Cour cantonale aurait dû mener la procédure d’appel à son terme, et apprécier le comportement de la recourante à la lumière des autres moyens de preuve disponibles. En rayant la cause du rôle, elle a violé les art. 113 et 2 CPP et commis un déni de justice (c. 5.4). 

Partant, le recours est admis, la décision cantonale annulée et la cause renvoyée à l’autorité précédente pour nouvelle décision (c. 7). 

III. Commentaire

La fiction du retrait de l’appel (art. 407 al. 1 CPP) a beaucoup occupé les tribunaux ces derniers temps. Après le prévenu qui renonce à révéler son lieu de résidence (ATF 148 IV 362, c. 1, in : https://www.crimen.ch/123/) et celui qui ne répond plus à son défenseur (TF 6B_1433/2022 du 17.4.2023, destiné à publication, in : https://www.crimen.ch/204/), c’était désormais au tour de la prévenue qui refuse de comprendre et donc de répondre aux questions des juges d’appel de se plaindre de l’application de cette disposition. Alors que, dans les deux premières causes, le Tribunal fédéral avait validé la démarche des autorités cantonales et considéré que le prévenu avait adopté un comportement contraire à la bonne foi, il a, cette fois-ci, fait prévaloir son droit de refuser de collaborer (art. 113 CPP) et refusé de créer par voie prétorienne un nouveau cas de retrait fictif de l’appel non prévu dans la liste de l’art. 407 al. 1 CPP. Cette décision doit être saluée, tant il est vrai que l’usage du droit de refuser de collaborer par le prévenu, même dans des conditions qui peuvent s’avérer exaspérantes pour les autorités pénales, ne doit entraîner pour lui aucun préjudice (cf. récemment ATF 149 IV 9, c. 5.1.2, in : https://www.crimen.ch/146/).

Proposition de citation : Alexandre Guisan, Pas de retrait de l’appel en raison de l’usage du droit de refuser de collaborer, in : https://www.crimen.ch/215/ du 15 septembre 2023