Dans le contexte d’une vaste fraude au détriment de la banque russe B, contrôlée depuis par une entité étatique russe en raison de son surendettement, la Suisse, plus précisément le Ministère public zurichois et la Russie mènent des procédures pénales contre A. Fin 2017 et début 2018, la Russie a adressé une demande d’entraide à la Suisse. La procédure pénale suisse est ainsi ouverte en parallèle à la procédure d’entraide, et les pièces qui sont sollicitées par la Russie dans le cadre de la seconde font partie du dossier de la première.
La banque B a obtenu le statut de partie plaignante dans la procédure pénale zurichoise par décision datée de juin 2019 et s’est vue accorder le droit de consulter le dossier. Cette décision a été confirmée par l’Obergericht zurichois en juillet 2020, qui a toutefois soumis la consultation à la condition qu’aucun enregistrement ni copie, sur quel support que ce soit ne soit fait. Saisi sur recours de A, le TF a confirmé l’accès passif au dossier de la procédure.
La solution retenue sur le fond s’inscrit dans la jurisprudence constante (cf. notamment TF 1C_368/2014 du 7.10.2014, c. 2.1 ; TPF 2012 48, c. 3.4). Elle n’est pas sans poser de multiples problèmes (cf. Maurice Harari/Corinne Corminboeuf Harari, Entraide internationale en matière pénale et transmission anticipée à l’État requérant, in : Antoine Eigenmann/Charles Poncet/Bernard Ziegler (éds), Mélanges en l’honneur de Claude Rouiller, Bâle 2016, 77 ss ; 80 ss ; Maria Ludwiczak Glassey, L’accès au dossier pénal suisse par la partie plaignante (quasi-)État étranger, Jusletter 15.6.2020 ; Maria Ludwiczak, À la croisée des chemins du CPP et de l’EIMP – la problématique de l’accès au dossier, RPS 2015, 295 ss, 315 ss), mais n’est pas l’objet de la présente note.
L’arrêt est en revanche innovant sur un autre aspect : il apporte une réponse à la question de savoir quel recours au TF est ouvert contre les décisions rendues dans les configurations comme celle-ci. En effet, puisqu’accorder l’accès au dossier de la procédure pénale à la partie plaignante contrôlée par l’État étranger requérant l’entraide peut revenir de facto à accorder à ce dernier l’entraide, peuvent être envisagés tant le recours en matière pénale (art. 78 ss LTF) que le recours en matière de droit public (art. 82 ss LTF).
Jusqu’à présent, lorsque la décision accordait l’accès au dossier à la partie plaignante ou en élargissait les conditions, le TF considérait que le recours de droit public était ouvert (ATF 139 IV 294, c. 1 ; TF 1C_368/2014 du 7.10.2014, c. 1). En revanche, lorsque l’instance précédente, cantonale ou fédérale, refusait l’accès au dossier ou refusait d’élargir les conditions de celui-ci, la voie appropriée était celle du recours en matière pénale (TF 1B_364/2013 du 6.1.2014, c. 1.1 ; TF 1B_521/2017 du 14.3.2018, c. 1).
Nous avions émis des critiques à l’encontre de cette solution (Jusletter, supra, N 75), dont l’une doit être reprise ici : lorsque la décision émane de la Cour des plaintes du TPF, compétente pour connaitre des recours contre les décisions rendues par le MPC (art. 37 al. 1 LOAP), l’accessibilité au TF dépend du contenu de la décision du TPF. En effet, d’après l’art. 79 LTF, le recours en matière pénale est irrecevable contre les décisions de la Cour des plaintes du TPF, sauf si elles portent sur des mesures de contrainte. Par conséquent, si le TPF accorde l’accès au dossier à la partie plaignante, le prévenu peut interjeter un recours en matière de droit public, mais s’il le refuse, le recours en matière pénale de la partie plaignante est irrecevable.
Confronté à une décision émanant cette fois d’une autorité cantonale, le TF s’écarte de sa position antérieure et décide, au terme d’une analyse des différences entre les deux types de recours en question, que seul le recours en matière pénale est ouvert (c. 1, en particulier c. 1.8). À l’appui de cette solution, le TF explique (c. 1.5) que ce recours n’est pas soumis à des exigences restrictives, à la différence du recours en matière de droit public, qui n’est ouvert que dans les « cas particulièrement importants » (art. 84 LTF) et que le délai de recours ordinaire s’applique (30 jours, art. 100 al. 1 LTF, au lieu de 10 jours pour le recours en matière de droit public, art. 100 al. 2 let. b LTF). Le TF expose finalement que la voie de recours ne peut dépendre du contenu de la décision de l’autorité précédente (c. 1.6).
Cette nouvelle jurisprudence uniformise la situation s’agissant des recours contre les décisions cantonales, ce qui doit être salué. Elle ne semble toutefois pas tenir compte de l’art. 79 LTF. Dès lors, à moins d’une lecture contra legem de cette disposition et l’ouverture du recours en matière pénale contre les décisions de la Cour des plaintes dans ces constellations particulières, la nouvelle jurisprudence crée une disparité avec les procédures conduites par le MPC, dans lesquelles la Cour des plaintes statuera en dernière instance. Il est aussi possible que le TF décide que la solution antérieure devra continuer à s’appliquer pour les recours contre les décisions fédérales. Cependant, cette disparité entre les décisions cantonales et fédérales ne nous parait pas satisfaisante, tant il est vrai que la répartition des procédures pénales entre les autorités cantonales et fédérale ne répond pas à des critères stricts (cf. art. 24 CPP).