Appréciation objective du résultat de la preuve et prise en compte globale de tous les indices

Il est admissible de conclure à la preuve de l’acte ou de l’identité de l’auteur d’une infraction à partir de l’ensemble des indices qui, considérés individuellement, n’indiquent qu’avec une certaine probabilité un fait déterminé ou la qualité d’auteur et qui, dans cette mesure, laissent subsister des doutes. Ceci ne viole ni la présomption d’innocence ni les droits des parties qui en découlent.

I. En fait

Le 3 février 2022, le Tribunal de première instance de Viège a condamné A pour vol par métier (art. 139 ch. 2 aCP – désormais art. 139 al. 3 let. a CP) à une peine pécuniaire avec sursis de 180 jours-amende à CHF 100.-, assortie d’un délai d’épreuve de deux ans, ainsi qu’à une amende de CHF 4’500.-. Le 22 février 2023, le Tribunal cantonal du Valais a confirmé la décision de l’instance précédente et condamné A à une peine pécuniaire avec sursis de 145 jours-amende à CHF 100.-, assortie d’un délai d’épreuve de deux ans, ainsi qu’à une amende de CHF 3’500.-. A forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral. Elle conclut à son acquittement du chef d’accusation de vol par métier.

II. En droit

La recourante estime que l’établissement des faits est manifestement inexact. En substance, elle soutient que l’appréciation insuffisante et non critique des preuves, respectivement des indices, ainsi que l’absence de collecte d’autres moyens de preuve nécessaires ont conduit à un résultat insoutenable. Elle conteste être l’auteure des vols ; il n’y a pas de preuve directe de sa culpabilité (c. 1).

À titre liminaire, le Tribunal fédéral rappelle que le recours ne peut critiquer les constatations de fait que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit (art. 95 LTF), et si la correction du vice est susceptible d’influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). « Manifestement inexacte » signifie ici « arbitraire » (ATF 148 IV 356, c. 2.1 ; 148 IV 39, c. 2.3.5 ; 147 IV 73, c. 4.1.2). Selon une jurisprudence constante, il y a arbitraire dans l’établissement des faits lorsque l’appréciation des preuves effectuées par l’instance précédente est tout à fait insoutenable, c’est-à-dire lorsque l’autorité se fonde dans sa décision sur des faits qui sont en nette contradiction avec la situation effective ou qui reposent sur une erreur manifeste. Le fait qu’une autre solution semble possible ne suffit pas (ATF 148 IV 356, c. 2.1 ; 148 IV 39, c. 2.3.5 ; 147 IV 73, c. 4.1.2 ; 146 IV 88, c. 1.3.1). Il est en outre nécessaire que la décision soit arbitraire non seulement dans sa motivation, mais également dans son résultat (ATF 146 IV 88, c. 1.3.1 ; 144 III 368, c. 3.1 ; 141 IV 305, c. 1.2) (c. 2.2).

La partie recourante doit examiner l’ensemble du raisonnement du tribunal et exposer dans quelle mesure, de son point de vue, la conclusion tirée de l’ensemble des différents indices est arbitraire (TF 6B_1239/2021 du 5.6.2023, c. 2.2 ; 6B_1302/2020 du 3.2.2021, c. 1.2.4 ; 6B_1031/2019 du 1.9.2020, c. 1.2.2). Il est admissible de conclure à la preuve complète et juridiquement suffisante de l’acte ou de l’identité de l’auteur d’une infraction à partir de l’ensemble des indices qui, considérés individuellement, n’indiquent qu’avec une certaine probabilité un fait déterminé ou la qualité d’auteur et qui, dans cette mesure, laissent subsister des doutes. Le procès par indices en tant que tel ne viole ni la présomption d’innocence ni les droits des parties qui en découlent (TF 6B_219/2021, 6B_228/2021 du 19.4.2023, c. 2.2). En outre, les autorités pénales peuvent renoncer à l’administration de preuves supplémentaires si, par une appréciation anticipée des preuves, elles peuvent admettre que leur conviction ne sera pas modifiée par l’administration de preuves supplémentaires (ATF 147 IV 534, c. 2.5.1 ; 146 III 73, c. 5.2.2 ; 141 I 60, c. 3.3), à l’instar de l’art. 139 al. 2 CPP, qui prévoit qu’il n’y a pas lieu d’administrer des preuves sur des faits non pertinents, notoires, connus de l’autorité pénale ou déjà suffisamment prouvés (TF 6B_219/2021, 6B_228/2021 du 19.4.2023, c. 2.2) (c. 2.3 et 2.4).

En l’espèce, il est reproché à la recourante d’avoir dérobé environ 170 paquets de billets de loterie dans le cadre de son activité professionnelle entre septembre 2016 et juillet 2018 pour une valeur totale de plus de CHF 53’300.- et un bénéfice d’environ CHF 26’000.- (c. 3).

Seuls de faux nova peuvent être invoqués devant le Tribunal fédéral au sens de l’art. 99 al. 1 LTF, à l’exclusion de vrais nova (ATF 148 IV 362, c. 1.8.2). Or, les faits avancés par la recourante (la lettre d’un psychologue spécialisé du 24 mars 2023 attestant de l’irresponsabilité de son mari au moment des faits et les nouvelles photos du mari) sont de vrais nova et ne doivent donc pas être pris en compte. En outre, le recours ne satisfait pas les exigences de motivation. En effet, la recourante se plaint notamment de l’appréciation de certains indices par l’instance précédente à son détriment, mais ne se penche pas sur l’ensemble des preuves et ne montre pas en quoi la conclusion tirée par l’instance précédente de l’ensemble des différents indices est arbitraire. La recourante ne parvient donc pas à démontrer que l’appréciation des preuves par l’instance précédente est insoutenable (c. 4.1 et 4.3).

Il est établi que la recourante a travaillé du 1er février 2014 jusqu’à son arrestation en juillet 2018 dans le shop de la station-service du garage de son employeur et qu’elle y vendait des billets de loterie. Deux périodes doivent être distinguées : d’une part, le mois de juillet 2018 et, d’autre part, les mois de septembre 2016 à juillet 2018. S’agissant du mois de juillet 2018, l’instance précédente se base sans arbitraire sur les déclarations de la comptable qu’elle considère détaillées et concluantes. L’instance précédente indique en détail quels paquets de billets de loterie n’ont plus été retrouvés. Sur la base du plan de travail pour le mois de juillet 2018, elle constate ensuite que ceux-ci ont été activés à chaque fois à un moment où la recourante était active dans le shop de la station-service. L’instance précédente énumère en détail les lieux où les billets ont été encaissés quelques jours plus tard et auxquels la recourante est partiellement liée. La conclusion de l’instance précédente selon laquelle il faut partir du principe que les billets n’ont pas été retirés individuellement, mais sous forme de paquets, n’est pas contestable, d’autant plus que la majorité des billets ont été retirés ensemble. Par ailleurs, des billets de loterie provenant d’un paquet ayant été activé pendant le service de la recourante ont été saisis dans son appartement, et des photos prises par la caméra de surveillance d’une station-service montrent qu’au moment de l’encaissement d’un billet de loterie provenant également d’un paquet ayant été activé pendant le service de la recourante, son mari était présent dans la station-service (c. 4.4 et 4.5.1).

S’agissant de la période de septembre 2016 à juillet 2018, l’instance précédente conclut, sans tomber dans l’arbitraire, que la recourante est l’auteure de l’infraction en raison de l’absence de chiffre d’affaires, des billets de loterie manquants et des activations multiples qui se produisaient à chaque fois en sa présence. En effet, compte tenu du fait que des billets de loterie activés par la recourante et non payés ont été saisis à son domicile, il est non seulement plausible, mais évident et compréhensible que l’instance précédente, sur la base des découverts constatés concernant les billets de loterie, en arrive à la conclusion que la recourante les a déjà soustraits avant juillet 2018 selon un même « modus operandi » et a encaissé les gains (c. 4.5.2).

Il n’existe pas de preuve directe de la qualité d’auteure de la recourante. Toutefois, les différents indices énumérés ci-dessus se concentrent sur la recourante de telle manière qu’il n’y a plus de doute sérieux, si on les considère dans leur ensemble, que les faits se sont déroulés comme le stipule l’acte d’accusation. Par conséquent, le Tribunal fédéral conclut que la culpabilité de la recourante est établie. L’instance précédente relie les différents indices sans arbitraire et avec une motivation détaillée pour former une chaîne d’indices concluante (c. 4.7). Le recours est rejeté (c. 6).

Proposition de citation : Sandy Ferreiro Panzetta, Appréciation objective du résultat de la preuve et prise en compte globale de tous les indices, in : https://www.crimen.ch/221/ du 10 octobre 2023