La conversion d’une mesure ambulatoire en mesure institutionnelle à la suite d’une peine privative de liberté

La conversion d’une mesure thérapeutique ambulatoire en une mesure institutionnelle après l’exécution complète d’une peine privative de liberté (ici de neuf ans) porte sérieusement atteinte à la liberté personnelle de la personne qui en fait l’objet. Son prononcé suppose une dangerosité particulière de l’intéressé et une grave mise en danger de la sécurité publique après l’échec de la thérapie ambulatoire, ce qui doit être évalué au regard de la nature, ainsi que de la gravité des actes commis et prédits. La mesure institutionnelle doit être l’unique moyen d’atteindre le but de prévention, conformément à un examen strict de sa proportionnalité. À ce dernier égard, il s’impose de procéder à une mise en balance des intérêts de la sécurité publique et du droit à la liberté personnelle, la durée de la privation de liberté déjà subie devant être prise en compte. Plus cette dernière est importante, plus la probabilité et la gravité d’infractions futures doivent être élevées. S’agissant du prononcé d’une mesure institutionnelle, il convient toutefois de garder à l’esprit que la privation de liberté qu’elle induit n’existe pas pour elle-même, mais est mise au service d’un traitement efficace.

I. En fait

En décembre 2016, A est reconnu coupable de contrainte sexuelle par le Tribunal de district de Zurzach, qui le condamne à une peine privative de liberté de neuf ans et trois mois et à un internement. En juin 2018, la juridiction d’appel acquitte partiellement A du chef d’accusation de contrainte sexuelle à l’encontre de l’une de ses victimes, réduisant sa peine à neuf ans ; elle ordonne une mesure ambulatoire en lieu et place de l’internement. Le Tribunal fédéral rejette le recours de A le 3 octobre 2019 (ATF 146 IV 1). En janvier 2021, l’Office d’exécution des peines du canton d’Argovie demande au Ministère public de Brugg-Zurzach de présenter au Tribunal une requête de prononcé d’une mesure thérapeutique institutionnelle, et d’une détention pour des motifs de sûreté dans le cas où aucune décision ne serait rendue avant la fin de la peine privative de liberté prononcée en juin 2018. Lors de l’audience principale devant le Tribunal de district de Zurzach en novembre 2021, une mesure institutionnelle est prononcée à l’encontre de A. Ce dernier forme un recours en matière pénale devant le Tribunal fédéral, concluant à l’annulation de la décision de l’instance précédente, en ce sens que la mesure prononcée à son encontre soit déclarée contraire au droit fédéral et annulée.

NB : Sont résumés ci-dessous les considérants relatifs au second grief soulevé par le recourant dans cette affaire, le premier ayant été abordé dans Camille Montavon, La pertinence des instruments de pronostic médico-légaux pour l’évaluation du risque de récidive, in : https://www.crimen.ch/213/ du 7 septembre 2023.

II. En droit

Le recourant prétend que la conversion d’une mesure ambulatoire en mesure institutionnelle après l’exécution d’une peine privative de liberté est contraire au droit fédéral. L’instance inférieure serait parvenue à la conclusion de la possibilité d’une diminution du risque de récidive – nécessaire au prononcé d’un traitement institutionnel – de façon arbitraire, car sans pronostic médical clair quant aux chances de réussite de la mesure thérapeutique (c. 5.1).

Pour le Tribunal fédéral, la juridiction précédente justifie de manière compréhensible, sur la base du rapport de l’expert, la possibilité d’une amélioration du pronostic légal dans un contexte thérapeutique en milieu (« milieutherapeutischen Setting »), et les perspectives de succès de la mesure institutionnelle. L’expert estime qu’un traitement des troubles mentaux au sens de l’art. 59 CP serait peu prometteur, en raison d’un manque de volonté du condamné à se soumettre à la mesure (c. 5.3.1). En outre, il explique que, grâce à ses entretiens d’exploration avec le requérant, il a pu constater un changement d’attitude chez ce dernier, ainsi que son influençabilité dans ce contexte institutionnalisé. De tels effets ne peuvent être constatés dans le cadre de sa mesure ambulatoire. Une thérapie en milieu institutionnel aurait une plus-value, en ce sens que les traits de personnalité problématiques du condamné seraient plus susceptibles d’être observés par les professionnels durant un accompagnement et une observation intensifs. Dès lors, l’expert démontre de manière suffisamment claire les raisons pour lesquelles une mesure institutionnelle a de plus grandes chances d’amélioration du pronostic légal. La juridiction inférieure pouvait donc se fonder sur l’expertise médicale pour ordonner une mesure institutionnelle plutôt qu’une mesure ambulatoire (c. 5.3.2).

Certes, l’expert évalue les chances de succès d’une mesure institutionnelle comme « plutôt défavorables » mais, contrairement à ce que prétend le recourant, ceci ne signifie pas qu’une réduction significative du risque soit exclue. L’élément déterminant est justement de savoir si, compte tenu de ce qui est médicalement réalisable, on peut s’attendre à une diminution du danger, sans qu’il soit nécessaire de démontrer l’évidence d’une telle diminution. En l’espèce, l’expert s’est basé sur ce qui est médicalement possible, à savoir sur le caractère prometteur d’une mesure institutionnelle créant un environnement favorable à l’observation des traits de personnalité narcissiques et dominants du recourant ; ceci est suffisamment clair en termes d’effets susceptibles d’être atteints sur le plan pronostique. À l’inverse de ce que déclare le recourant, sa vive opposition à un traitement institutionnel n’est pas pertinente ici ; une motivation minimale suffit, ce qui peut être admis puisque le recourant a accepté de se soumettre à l’expertise (c. 5.3.3-5.3.4 et les références jurisprudentielles citées). De ce fait, la juridiction cantonale ne tombe pas dans l’arbitraire en concluant qu’une mesure institutionnelle permettrait d’améliorer le pronostic légal (c. 5.4).

Par ailleurs, le recourant prétend que le prononcé de la mesure institutionnelle ultérieurement à sa peine privative de liberté est contraire au principe de proportionnalité, lequel n’aurait pas été rigoureusement examiné. L’exigence de subsidiarité aurait dû mener au prononcé d’un traitement ambulatoire accompagné d’une mesure de protection de l’adulte (c. 6). En réponse, le Tribunal fédéral admet que la conversion d’une mesure thérapeutique ambulatoire en une mesure institutionnelle après l’exécution complète d’une peine privative de liberté (ici de neuf ans) constitue effectivement une atteinte sérieuse à la liberté personnelle. Pour ordonner la conversion, il ne suffit pas qu’il existe un risque de commission d’autres infractions qui, chacune, justifieraient une mesure institutionnelle au sens de l’art. 59 CP. Il est nécessaire que l’intéressé mette gravement en danger la sécurité publique à la suite de l’échec de la thérapie ambulatoire, ce qui doit être évalué au regard notamment de la nature et de la gravité des actes commis et prédits (ATF 127 IV 1, c. 2a). Dans le cas d’une conversion de thérapie ambulatoire en mesure institutionnelle après l’exécution d’une peine, l’intéressé doit présenter une dangerosité particulière ; tel est le cas lorsqu’il existe un risque sérieux de grave délinquance, ce par quoi il faut comprendre des infractions graves, et une forte probabilité d’atteinte à des biens juridiques importants (not. TF 6B_121/2019 du 12.6.2019, c. 3.1) (c. 6.1.1). En plus de la grave mise en danger de la sécurité publique, il doit être établi que seule une mesure institutionnelle peut améliorer le pronostic légal défavorable : la mesure doit être l’unique moyen d’atteindre le but de prévention, conformément à un examen strict de sa proportionnalité (c. 6.2).

Le Tribunal fédéral approuve alors l’examen de la proportionnalité réalisé par l’instance précédente, et ce au regard de la plus-value de la mesure institutionnelle en termes d’amélioration du pronostic légal, telle que démontrée par l’expert. Il rejoint la juridiction cantonale sur la nécessité de la mesure institutionnelle après l’échec de la mesure ambulatoire, qui ne présente pas de perspectives favorables en matière de récidive. C’est pourquoi l’instance précédente a conclu, sans arbitraire ni violation du droit fédéral, que la mesure institutionnelle recommandée par l’expert était nécessaire pour améliorer le pronostic légal (c. 6.2.1).

Le recourant défend au surplus que le prononcé de mesures de privation de liberté – dont une mesure thérapeutique institutionnelle – est contraire au droit fédéral si l’encadrement nécessaire peut être mis en œuvre au moyen d’une mesure relevant du droit de la protection de l’adulte. Le Tribunal fédéral refuse de le suivre : d’une part, seule une mesure institutionnelle s’avère prometteuse dans le cas d’espèce ; d’autre part, lorsque les conditions d’une mesure pénale sont remplies, le juge doit l’ordonner (c. 6.2.2).

Sous l’angle de la proportionnalité au sens strict, il doit exister un rapport raisonnable entre la mesure et le but visé, ce qui suppose une mise en balance entre les intérêts de la sécurité publique et le droit à la liberté personnelle. Ici, il convient de prendre aussi en considération la durée de la privation de liberté déjà subie. Plus cette dernière est importante, plus la probabilité et la gravité d’infractions futures doivent être élevées (ATF 136 IV 156, c. 3.2). In casu, le recourant a exécuté une peine privative de liberté de neuf ans, ce qui est conséquent et atteint donc sérieusement sa liberté personnelle. Cela étant, il convient de garder à l’esprit que, dans le contexte d’une mesure institutionnelle, la privation de liberté n’existe pas pour elle-même, mais est mise au service d’un traitement efficace. Tenant compte de la dangerosité du recourant en matière de délinquance sexuelle, la mise en balance de son droit à la liberté personnelle avec le besoin de protection de la sécurité publique et des victimes potentielles (en l’occurrence des femmes, particulièrement vulnérables) est telle que l’intérêt public est prépondérant. Dès lors, la mesure institutionnelle est proportionnée (c. 6.3).

En conclusion, il faut admettre la proportionnalité de la conversion de la mesure ambulatoire d’accompagnement de l’exécution de la peine en mesure thérapeutique institutionnelle, à la suite de la peine privative de liberté de neuf ans. Le recours est rejeté (c. 8).

Proposition de citation : Camille Montavon, La conversion d’une mesure ambulatoire en mesure institutionnelle à la suite d’une peine privative de liberté, in : https://www.crimen.ch/222/ du 20 octobre 2023