Sonorisation en prison : les visites au parloir peuvent être enregistrées à l’aide de moyens techniques de surveillance (art. 280 ss CPP) lorsqu’ils ne visent pas le détenu

Lorsque des personnes ayant le statut de prévenues viennent rendre visite à des détenus également prévenus mais dans une procédure pénale distincte, le ministère public peut mettre en place une mesure technique de surveillance au parloir de la prison sans violer l’art. 281 al. 3 let. a CPP. Tant que les prévenus dans la procédure au sein de laquelle la mesure technique de surveillance est ordonnée ne sont pas en détention, rien n’empêche la mise en place d’une telle mesure technique de surveillance.

Dans le cadre de la poursuite d’auteurs de brigandages, commis respectivement en 2014 et 2016, le Ministère public de la République et canton de Genève ouvre deux enquêtes pénales. Dans la procédure portant sur le brigandage de 2016, deux membres d’une fratrie sont mis en prévention et arrêtés grâce à des vidéos de surveillance. L’un des frères prévenus met en cause un certain A, qui serait en possession des armes utilisées pour le brigandage de 2016. Une procédure est ouverte contre A pour infraction à la LArm et à l’art. 140 CP. Suspectant la mère et la cousine des deux frères prévenus d’entraver l’action pénale (art. 305 CP), le Ministère public ordonne la mise sur écoute et l’enregistrement des discussions tenues au parloir de la prison entre les deux frères en détention à Champ-Dollon et elles. Il en ressort que A est plusieurs fois mis en cause. Le Tmc genevois autorise l’exploitation de ces découvertes fortuites (art. 278 cum art. 281 al. 4 CPP). Grâce à de nouvelles découvertes, A est également mis en prévention pour une infraction de viol (art. 190 CP) ou contrainte sexuelle (art. 189 CP), pour séquestration (art. 183 CP) et pour dissimulation du butin (art. 305 CP et 305bis CP). A recourt contre les décisions du Tmc autorisant l’exploitation des découvertes fortuites à la Chambre pénale de recours de la Cour de justice genevoise, qui confirme l’exploitation des enregistrements obtenus au parloir de la prison. A porte finalement sa cause devant le Tribunal fédéral, estimant que la sonorisation ordonnée au parloir viole l’art. 281 al. 3 let. a CPP, de sorte que l’art. 278 CPP ne permettait pas l’exploitabilité des enregistrements ainsi obtenus.

D’entrée, le Tribunal fédéral précise que la mesure de surveillance technique mise en œuvre au parloir de la prison de Champ-Dollon n’a pas été ordonnée à l’encontre des prévenus détenus. Les résultats mettant en cause A sont donc bel et bien des « découvertes fortuites » au sens de l’art. 278 al. 2 CPP. Se référant à sa jurisprudence récente en matière de contrôle de validité des mesures de surveillance ordonnées sur la base de découvertes fortuites, notre Haute Cour rappelle que le prévenu ne peut prétendre qu’au contrôle de la validité de la décision d’exploitation et des conditions légales de la surveillance ayant permis la découverte fortuite, notamment celles contenues à l’art. 281 al. 3 CPP (cf. TF 1B_133/2020 du 7.9.2020, c. 2.2). Sur le grief de la tardiveté de la demande d’exploitation par rapport à la date à laquelle le Ministère public en a eu connaissance, le Tribunal fédéral rappelle que le délai de 24 heures est une prescription d’ordre, dont la violation ne porte pas conséquence sur l’exploitabilité des preuves (cf. art. 141 al. 3 CPP) (c. 3 et 4).

Après avoir admis que la mesure de surveillance aurait pu être prononcée contre A (existence de soupçons fondés ; infractions contenues dans le catalogue de l’art. 269 al. 1 CPP ; respect des limitations de l’art. 281 al. 3 CPP ; et subsidiarité de la mesure par rapport aux autres moyens d’instruction), qui n’était pas en détention au moment de la découverte fortuite, le Tribunal fédéral se penche, abstraitement, sur la possibilité d’ordonner une mesure technique de surveillance en milieu carcéral, mais ne visant pas une personne détenue. Il rappelle dans ce contexte qu’une surveillance de la correspondance par poste et télécommunications entraîne une atteinte à la sphère privée moins intrusive qu’une mesure technique de surveillance (cf. ATF 144 IV 370, c. 2.3 ; voir également ATF 143 I 292, c. 2.4.2). En partant du postulat du législateur selon lequel la privation de liberté, atteinte grave à la sphère privée du détenu, ne peut être cumulée avec une mesure technique de surveillance (cf. la ratio legis de l’art. 281 al. 3 let. a CPP : FF 2006 1057, 1234), les juges de Mon Repos estiment toutefois que le prévenu visiteur en prison doit être distingué du prévenu détenu. Ils précisent d’ailleurs que pour certains types de prévenus non détenus, qui sont ainsi libres de quitter le lieu où pourrait être installée la mesure technique, le parloir d’une prison est l’endroit le plus efficace pour les surveiller. Rien ne justifie alors de renoncer à mettre en œuvre une mesure de surveillance secrète dans de telles circonstances (c. 5.1.3).

En conséquence, vu la réalisation des conditions matérielles et formelles des art. 278, 269 al. 1 et 281 al. 3 let. a CPP, la découverte fortuite, quand bien même celle-ci a été obtenue en milieu carcéral, est licite et pleinement exploitable (c. 6). Le recours est ainsi rejeté.

Le raisonnement paraît convaincant sur l’analyse stricte des dispositions topiques du CPP. Il faut effectivement reconnaître avec le Tribunal fédéral que la sonorisation mise en place au parloir ne visait pas directement les deux frères détenus. On peut malgré tout relever que l’existence de deux procédures distinctes pour des faits intimement liés entre eux (les soupçons d’entrave à l’action pénale étant en lien avec la procédure principale pour brigandage) semble avoir facilité le raisonnement des autorités genevoises et de notre Haute Cour. Cette configuration a permis d’éviter que la mère et la cousine en visite en prison aient également le statut de prévenues dans la même procédure que les deux frères détenus. Il n’est effectivement pas certain que les limitations posées par l’art. 281 al. 3 let. a CPP auraient pu être écartées si les quatre personnes présentes au parloir étaient coprévenues (dans l’hypothèse où une participation aux infractions de brigandage auraient pu être reprochée à la mère et la cousine).

En outre, malgré de larges réflexions faites sur la protection des droits fondamentaux des détenus, notamment en lien avec les déclarations qu’ils pourraient faire au parloir (c. 5.1.1), le Tribunal fédéral ne s’arrête pas sur la question de savoir si leur sphère privée ne devrait pas être protégée de manière plus globale, à plus forte raison lorsque des membres de leur famille sont reçus au parloir. Le raisonnement ne devrait peut-être pas se focaliser exclusivement sur la personne cible de la surveillance, dans la mesure où une « discussion entre personnes » implique nécessairement une atteinte à la sphère privée de tous les participants à celle-ci. Le CPP précise pourtant que les mesures de contrainte qui portent atteinte aux droits fondamentaux des personnes qui n’ont pas le statut de prévenu doivent être appliquées avec une retenue particulière (art. 197 al. 2 CPP). L’art. 281 al. 1 CPP dispose en outre que seuls des prévenus peuvent être objets d’une surveillance technique. Par conséquent, contrairement à ce qui prévaut en matière d’écoutes téléphoniques (cf. art. 270 CPP), les tiers ne peuvent pas être visés par une mesure technique de surveillance et les informations recueillies à leur endroit sont inexploitables (BSK StPO-Eugster/Katzenstein, art. 281N 4).

Avec cet arrêt, notre Haute Cour maintient une forme de « flou » en matière de mesures de surveillance ordonnées en milieu carcéral, probablement tiraillée entre l’intérêt public à la découverte de la vérité matérielle et l’intérêt du prévenu à voir le noyau de ses droits fondamentaux respecté, notamment celui de ne pas s’auto-incriminer (voir par exemple ATF 144 IV 23, c. 4.3 ; voir également ATF 143 I 292, c. 2.5.2.2, qui précise que le prévenu, même s’il a manifesté son droit de se taire, doit se soumettre aux mesures de contrainte ; retenir l’inverse reviendrait à lui accorder un avantage indu, incompatible avec le CPP). Dans un arrêt 6B_247/2020 du 6.5.2020, le Tribunal fédéral n’a pas non plus saisi l’occasion de trancher la question de savoir si l’engagement d’un agent infiltré (art. 285a ss CPP) dans la cellule d’un prévenu et au parloir de la prison est compatible avec la notion de procès équitable (sur cette affaire, voir Ryan Gauderon, L’investigation secrète : mesure de contrainte licite ou moyen d’instruction déloyal ?, PJA 2020, 1430 ss ; Frank Meyer, Les droits de la défense doivent à nouveau être clarifiés, Plaidoyer 5/2019, 22 ss). Le Tribunal aurait ainsi pu aller plus avant dans son analyse dans l’arrêt ici commenté.

Proposition de citation : Ryan Gauderon, Sonorisation en prison : les visites au parloir peuvent être enregistrées à l’aide de moyens techniques de surveillance (art. 280 ss CPP) lorsqu’ils ne visent pas le détenu, in : https://www.crimen.ch/23/ du 3 août 2021