Le prononcé d’une détention pour motifs de sûreté dans le cadre d’une décision judiciaire ultérieure à l’exécution d’une peine

Le prononcé d’une détention pour des motifs de sûreté en vue ou dans le cadre d’une décision judiciaire ultérieure indépendante suppose de sérieuses raisons de penser que l’exécution d’une peine ou d’une mesure privative de liberté sera ordonnée à l’encontre de la personne condamnée (art. 364a et 364b CPP). Ce changement de sanction (art. 65 al. 1 CP) est possible uniquement si, après l’entrée en force du jugement initial, de nouveaux faits ou moyens de preuves, alors inconnus du tribunal mais déjà existants au moment du premier jugement, sont apparus et satisfont les conditions d’une mesure. Conformément à la jurisprudence de la CourEDH, ces nouveaux faits et moyens de preuve doivent porter sur la nature de l’infraction ou sur la culpabilité, et non uniquement sur les conditions du prononcé ultérieur de la mesure.

I. En fait

Un prévenu est condamné à une peine privative de liberté avec sursis. Une assistance de probation est prononcée, ainsi qu’une règle de conduite l’astreignant à une prise en charge thérapeutique. Le prévenu méconnaît ces deux dernières obligations et voit donc son sursis être révoqué. Sur requête du ministère public, et sur la base de l’art. 65 CP, le tribunal de première instance ordonne, ultérieurement à l’exécution de la peine, un traitement institutionnel au sens de l’art. 59 CP et une détention pour motifs de sûreté. Le condamné forme un recours contre la détention devant le tribunal cantonal, qui le rejette. L’affaire est portée devant le Tribunal fédéral.

II. En droit

Le Tribunal fédéral est appelé à se prononcer ici sur la validité du prononcé d’une détention pour motifs de sûreté dans le cadre d’une décision judiciaire ultérieure indépendante au sens des art. 363 ss CPP, et plus spécifiquement des art. 364a et 364b CPP. Ces derniers prévoient en substance que le condamné peut être arrêté dans ce cadre s’il y a de sérieuses raisons de penser : que l’exécution d’une peine ou d’une mesure privative de liberté sera ordonnée à son encontre ; et qu’il se soustraira à son exécution, ou qu’il commettra à nouveau un crime ou un délit grave (art. 364a al. 1 et 364b al. 1 CPP) (c. 2).

La Haute Cour examine dès lors si une peine privative de liberté est susceptible d’être prononcée dans la procédure ultérieure en cours, conformément à ce qu’avait retenu l’instance précédente, mais contrairement à ce que prétend le recourant (c. 4). Elle note que la juridiction cantonale s’était référée à une expertise psychiatrique subséquente au jugement initial, faisant état de graves troubles psychiques et de la dangerosité du requérant ; ladite expertise aurait déjà existé au moment de la commission des faits et du premier jugement, mais n’aurait pas été considérée dans ce cadre. L’experte recommandait un traitement thérapeutique institutionnel (art. 59 CP), soulignant le risque élevé de récidive d’infractions violentes (c. 4.1). Le recourant argue en revanche que le prononcé ultérieur d’une telle mesure serait disproportionné au regard de la peine prononcée initialement, ce d’autant plus qu’il existait déjà des indices de troubles psychiques au moment de sa condamnation, sans qu’une mesure soit prononcée (c. 4.2).

Pour le Tribunal fédéral, il s’agit de vérifier les conditions au changement de sanction posées par l’art. 65 al. 1 CP, dès lors qu’il est question de prononcer, ultérieurement à un jugement, une mesure thérapeutique institutionnelle (art. 59 CP). Le tribunal peut ordonner une telle mesure si le condamné satisfait aux conditions à son prononcé avant ou durant l’exécution de sa peine privative de liberté. Conformément à la jurisprudence, le changement ultérieur de sanction au sens de l’art. 65 al. 1 CP est possible uniquement si, après l’entrée en force du jugement initial, de nouveaux faits ou moyens de preuves, alors inconnus du tribunal mais déjà existants au moment du premier jugement, sont apparus et satisfont les conditions d’une mesure (ATF 148 IV 89, c. 4.4 ; 145 IV 383 c. 2.1 ; 142 IV 307, c. 2.3). Les juges ne peuvent donc se fonder sur un fait qui n’existait pas lors du jugement initial et qui est survenu subséquemment (ATF 145 IV 38, c. 2.3) (c. 4.3.1-4.3.2).

Le changement ultérieur d’une peine en mesure doit au demeurant être conforme à la CEDH (ATF 145 IV 383, c. 2.1 ; 142 IV 307, c. 2.1 et 2.3). À cet égard, la CourEDH a précisé que, pour que le prononcé ultérieur d’un internement (art. 65 al. 2 CP) en défaveur d’une personne condamnée soit conforme à la CEDH, les nouveaux faits et moyens de preuve doivent porter sur la nature de l’infraction ou sur la culpabilité (CourEDH W.A. c. Suisse du 2.11.2021, §§ 42-45 et 71), et non uniquement sur les conditions du prononcé ultérieur d’une mesure (c. 4.3.3)


In casu, les faits et moyens de preuves nouveaux influencent exclusivement les conditions du prononcé de la mesure, si bien que le prononcé ultérieur d’une mesure thérapeutique institutionnelle serait contraire à la jurisprudence de la CourEDH. Ainsi, le prononcé ultérieur d’une peine ou d’une mesure privative de liberté à l’encontre du condamné (art. 65 al. 1 CP) n’apparaît pas suffisamment probable. En conclusion, le recours est admis ; les conditions de la détention pour motifs de sûreté faisant défaut, il convient de libérer immédiatement le recourant (c. 4.3.3 et 5).

Proposition de citation : Camille Montavon, Le prononcé d’une détention pour motifs de sûreté dans le cadre d’une décision judiciaire ultérieure à l’exécution d’une peine, in : https://www.crimen.ch/241/ du 11 janvier 2024