Chiens errants et agressifs : la responsabilité du détenteur 

Compte tenu des précédents d’errance, de morsures d’êtres humains et de la mort d’un félin domestique consécutive à une attaque, il n’y a rien d’arbitraire à considérer que la fuite de deux chiens soit imputable à une négligence coupable de la détentrice.

I. En fait 

Par ordonnance pénale du 6 décembre 2021, le Ministère public de l’arrondissement de l’Est vaudois a condamné A pour contravention à la loi vaudoise sur la faune du 28 février 1989 (LFaune/VD) à une amende de CHF 1’500.- en retenant les faits suivants. Le 8 décembre 2020, deux chiens blancs de race C appartenant à A ont quitté d’une manière indéterminée le jardin clôturé entourant la maison et ont erré dans le village. L’un des deux s’est saisi du chat de B qui avait trouvé refuge sous une bâche et l’a violemment secoué ; le félin a été retrouvé mort, le lendemain matin. B, lésé, a déposé plainte.

Statuant sur opposition, le Tribunal de police de l’arrondissement de l’Est vaudois a constaté que A s’était rendue coupable de contravention à la LFaune/VD et l’a condamnée à CHF 500.- d’amende. La Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal vaudois a rejeté l’appel de la condamnée et a confirmé le jugement de première instance en retenant que l’intéressée n’était pas parvenue à démontrer un établissement arbitraire des faits : la fugue des chiens était imputable à une négligence coupable de leur détentrice.  

A recourt à l’encontre du jugement sur appel au Tribunal fédéral (TF) et demande principalement la réforme dans le sens de son acquittement et à titre subsidiaire, l’annulation de la cause. 

II. En droit

En substance, la recourante conteste la condamnation pour avoir commis une contravention à la LFaune/VD et critique les faits retenus par l’autorité précédente. 

Notre Haute Cour débute son raisonnement par un rappel en matière de constatations de fait (art. 105 al. 1 LTF). Le TF est lié par les constatations de fait de la décision entreprise sous les réserves découlant de l’art. 97 al. 1 LTF et de l’art. 105 al. 2 LTF, soit, pour l’essentiel, de l’arbitraire (ATF 148 IV 356, c. 2.1 ; ATF 147 IV 73, c. 4.1.2) et il n’examine de tels griefs que s’ils sont invoqués et motivés par le recourant. Les critiques de nature appellatoire sont irrecevables (ATF 148 IV 356, c. 2.1 ; ATF 147 IV 73, c. 4.1.2). Lorsque l’autorité précédente est saisie d’un appel portant exclusivement sur des contraventions – de sorte que son pouvoir d’examen est limité à l’arbitraire s’agissant des faits retenus par le premier juge (art. 398 al. 4 CPP) – le TF contrôle librement la manière dont celle-ci a fait usage de sa cognition limitée, en recherchant si elle a nié ou admis à tort l’arbitraire de l’appréciation en fait opérée par le premier juge (c. 1.1).

In casu, la cour cantonale tient pour établi que les deux chiens de A se sont échappés de sa propriété et qu’ils ont été retrouvés à X vers 21h45. Le chat de B avait par ailleurs été tué par deux grands chiens blancs le même jour aux alentours de 21h00 à X. Statuant sous l’angle de l’arbitraire soulevé en appel, la cour cantonale écarte la thèse de la recourante selon laquelle elle n’aurait laissé ses chiens sortir de la maison que vers 21h30. La cour cantonale réfute également l’hypothèse selon laquelle les faits auraient pu avoir été causés par un autre couple de grands chiens blancs errants qui auraient déjà été les auteurs d’une précédente agression dans le même village durant l’été 2020 sans avoir pu être identifiés. Dans ce contexte, la cour cantonale souligne que les chiens de la recourante ont été impliqués – à tout le moins – dans deux agressions répertoriées par la police après avoir échappé à la surveillance de leurs maîtres. En particulier, le fils de la recourante avait été condamné par ordonnance pénale à la suite d’une attaque de chien lors de laquelle un chat avait été tué. En outre, selon un rapport de police, le 6 novembre 2014, les deux mêmes chiens avaient quitté le jardin et avaient mordu sans raison deux policiers intervenus sur place. De plus, des chiens de la race C propriété de la recourante avaient déjà mordu des êtres humains en 2010 et en 2012. Par ailleurs, dans les communes et les localités des environs, personne n’était détenteur de plusieurs chiens de race C ni de race (semblable) F hormis la recourante qui en détenait quatre. Enfin, d’après la cour cantonale, le fait que les chiens aient été retrouvés calmes et sans traces de sang n’était pas propre à exclure un comportement différent 45 minutes plus tôt (c. 1.2). Ainsi, selon l’autorité précédente, les éléments pris en considération reflètent un faisceau d’indices convergents propre à ôter tout doute et à emporter la conviction quant à l’implication des chiens de la recourante (c. 1.2). 

De son côté, la recourante – invoquant l’interdiction de l’arbitraire (art. 9 Cst.) et la présomption d’innocence (art. 14 par. 2 Pacte ONU II art. 6 CEDH art. 32 al. 1 Cst. ; art. 10 CPP) – conteste le témoignage de G qui soutient avoir vu « les chiens de la prévenue » errer dans le quartier et courir dans son jardin. Elle souligne également qu’aucune plainte pénale ou document figurant au dossier n’établirait un lien entre ses chiens et les faits survenus en été 2020 (c. 1.3). 

Notre Haute Cour relève à titre préliminaire que la recourante a été condamnée en application de l’art. 20 al. 1 et de l’art. 77 al. 1 LFaune/VD. La première disposition interdit de laisser errer les chiens, tandis que la deuxième réprime les contraventions – tant intentionnelles que par négligence – à la loi. Selon l’art. 2a du Règlement vaudois d’application de la LFaune/VD, est considéré comme errant tout chien se trouvant à plus de 200 mètres de l’habitation de son détenteur et tout chien se trouvant en terrain découvert à plus de 200 mètres de son détenteur. Or, il est constant que les chiens de la recourante ont fui le domaine de cette dernière et qu’ils ont échappé à sa surveillance. Bien que A nie que ses chiens aient tué le chat, il n’est guère contestable que ses chiens ont bel et bien été retrouvés le même soir et qu’ils étaient effectivement éloignés de plus de 200 mètres de son domicile. Enfin, rien n’étaye l’hypothèse de la recourante selon laquelle elle se trouvait à moins de 200 mètres de ses chiens durant tout ce temps, l’intéressée ayant du reste d’emblée admis une fugue de 15 minutes. Ainsi, même en tenant compte des explications de la recourante, il n’y avait rien d’insoutenable à tenir pour réalisée l’errance des deux chiens, ce qui suffit à réaliser l’élément objectif de l’infraction (c. 1.3.1). 

En ce qui concerne la formulation de la cour cantonale à propos du fait que le témoin G a vu « les chiens de la prévenue » errer dans le quartier, notre Haute Cour souligne que le considérant de l’autorité précédente portait sur la chronologie des évènements. En effet, la cour cantonale arrive à la conclusion, à partir des explications du témoin G, de B et de l’inscription au journal des évènements de la police, que deux grands chiens blancs de race F s’étaient trouvés aux alentours de l’habitation en question vers 21h00 et y avaient tué un chat. Ce récit permet d’écarter la thèse de la recourante selon laquelle elle n’aurait laissé sortir ses chiens que vers 21h30. Un autre considérant de l’autorité précédente est spécifiquement consacré à l’identification des chiens. En particulier, la cour cantonale réfute la thèse de A selon laquelle un autre couple de grands chiens blancs errants aurait pu être à l’origine des faits du 8 décembre 2020. Les développements de la recourante concernant ce passage de la décision de l’autorité précédente reviennent à rediscuter les déclarations des témoins, les pièces au dossier et la fiabilité des informations qui ressortent du registre H (registre ayant pour but le recensement des chiens sur le plan national). Selon notre Haute Cour, il s’agit de développements appellatoires et partant irrecevables. Les juges du TF se limitent à relever les éléments suivants (c. 1.3.2 et c. 1.3.3). 

Le fait de retenir sur la base des déclarations d’un témoin qu’un tiers a pu être mordu par un chien appartenant à la recourante durant l’été 2020 ne dit rien de son éventuelle responsabilité pénale, on ne saurait ainsi pas y voir une violation de sa présomption d’innocence. Pour le surplus, les juges du TF rappellent que la recourante possède quatre grands chiens blancs dont deux seraient restés à son domicile le 8 décembre 2020 et qu’elle en a récupéré deux autres à 370 mètres du domicile de la partie plaignante où un chat a été tué par deux grands chiens blancs. La thèse avancée par la recourante reviendrait à tabler sur la présence simultanée de trois paires de grands chiens blancs – dont deux couples errant séparément – dans un rayon de moins d’un kilomètre. Étant relevé que l’enregistrement des chiens constitue une obligation légale (art. 9 et art. 34 LPolC), notre Haute Cour retient qu’on ne saurait reprocher à l’autorité précédente de s’être fondée sur le contenu de la banque de données H pour constater que les seuls chiens de race C dans les localités voisines étaient ceux de A et que les 5 chiens de la race semblable F étaient détenus de manière isolée. En conséquence, il est peu concevable que deux de ces chiens aient erré ensemble et encore moins probable qu’ils l’aient fait précisément alors que deux des grands chiens blancs de la recourante rôdaient eux aussi dans les environs. Ainsi, compte tenu des précédents d’errance, de morsures d’êtres humains et de la mort d’un félin domestique consécutive à une attaque des chiens de la recourante, il n’y avait rien d’arbitraire à écarter la conjecture hasardeuse de la recourante avancée pour sa défense (c. 1.3.4). 

Enfin, notre Haute Cour souligne que la recourante n’invoque pas dans son recours une application arbitraire du droit cantonal en lien avec l’aspect subjectif de l’infraction et il ne s’avère ainsi pas nécessaire de déterminer plus précisément si la notion de négligence de l’art. 77 al. 1 LFaune/VD est définie de manière autonome ou par renvoi à l’art. 12 al. 3 CP (c. 1.4). 

Notre Haute Cour rejette par conséquent le recours et met à la charge de la recourante les frais judiciaires. 

Proposition de citation : Basilio Nunnari, Chiens errants et agressifs : la responsabilité du détenteur , in : https://www.crimen.ch/270/ du 30 mai 2024