Harcèlement : concours idéal entre les infractions d’utilisation abusive d’une installation de télécommunication et de menaces

L’auteur qui envoie un grand nombre de messages à une plaignante dont certains revêtent un caractère menaçant réalise à la fois l’infraction d’utilisation abusive d’une installation de télécommunication (art. 179septies aCP) et celle de menaces (art. 180 CP).

I. En fait

Il est notamment reproché à A d’avoir harcelé B du 31 mai au 2 juin 2020 par le biais de nombreux appels et messages, dans lesquels il l’a parfois menacée de venir la trouver chez elle, de « foutre la merde » chez ses parents, ainsi que de la « foutre dans la merde ». 

Par jugement du 13 septembre 2022, le Tribunal de police de l’arrondissement de l’Est vaudois a reconnu A coupable d’utilisation abusive d’une installation de télécommunication et de menaces s’agissant des faits susmentionnés. Le prévenu a également été condamné pour d’autres infractions en relation avec des faits distincts. 

Par arrêt du 31 mars 2023, la Cour d‘appel pénale du Tribunal cantonal vaudois a rejeté l’appel de A et a confirmé le jugement de première instance. 

A forme un recours en matière pénale devant le Tribunal fédéral à l’encontre du jugement précité. Il conclut notamment à son acquittement s’agissant des chefs d’accusation relatifs aux art. 179septies aCP et 180 CP. Cette contribution se concentrera sur la réalisation de l’infraction d’utilisation abusive d’une installation de télécommunication et sur son rapport avec les menaces que le recourant a proférées par messages.

IIEn droit

Le recourant conteste avoir réalisé l’infraction d’abus d’une installation de télécommunication au sens de l’art. 179septies aCP (c. 2).

Conformément à l’art. 179septies aCPdans sa teneur en vigueur jusqu’au 30 juin 2023, celui qui, par méchanceté ou par espièglerie, utilisait abusivement une installation de télécommunication pour inquiéter un tiers ou pour l’importuner était, sur plainte, puni d’une amende. Depuis le 1er juillet 2023, la norme sanctionne, sur plainte, d’une peine privative de liberté d’un an au plus ou d’une peine pécuniaire quiconque utilise abusivement une installation de télécommunication pour inquiéter un tiers ou pour l’importuner. L’art. 179septies aCP constituait une contravention, alors que la nouvelle disposition consacre un délit. En outre, les conditions d’application de l’infraction étaient plus restrictives sous l’ancien droit au vu des éléments constitutifs subjectifs relatifs à la méchanceté ou à l’espièglerie de l’auteur. L’art. 179septies aCP, qui est plus favorable à l’auteur, trouve donc application en l’espèce (art. 2 al. 1 et 2 CP) (c. 2.1).

Quelle que soit la version de l’infraction d’utilisation abusive d’une installation de télécommunication applicable, cette disposition protège le droit subjectif de la victime à ne pas être importunée par certains actes commis au moyen d’un téléphone. La notion d’abus est laissée à l’appréciation du juge, qui ne doit toutefois appliquer cette disposition qu’en présence de comportements appelant sans conteste une réponse pénale, soit d’actes atteignant une certaine intensité dans une perspective quantitative et/ou une certaine gravité sur le plan qualitatif. Selon la jurisprudence, il y a méchanceté au sens de l’art. 179septies aCP lorsque l’auteur commet l’acte répréhensible parce que le dommage ou les désagréments qu’il cause à autrui lui procurent de la satisfaction. Quant à l’espièglerie, elle signifie agir un peu follement, par bravade ou sans scrupule, dans le but de satisfaire un caprice momentané (ATF 126 IV 216, c. 2a; ATF 121 IV 131, c. 5b) (c. 2.2).  

Le recourant conteste avoir réalisé l’infraction d’utilisation abusive d’une installation de télécommunication au motif que la partie plaignante a répondu à chacun de ses messages et ne l’a pas bloqué. Sous l’angle subjectif, il estime ne pas avoir agi par espièglerie ou méchanceté car la partie plaignante aurait contribué à envenimer la situation en lui répondant de manière parfois injurieuse, menaçante ou provocatrice. Selon le Tribunal fédéral, l’instance précédente a correctement apprécié la situation en exposant que les réponses de la partie plaignante n’avaient pas d’incidence sur la qualification pénale du comportement du recourant. Dans un premier temps, la plaignante a tenté de mettre un terme aux prises de contact du recourant en lui opposant de nombreuses fins de non-recevoir polies. Le ton est monté car ce dernier a continué à la contacter. Sous l’angle subjectif, les messages du recourant qui contiennent des menaces relèvent de la méchanceté. Quant aux autres messages, ils témoignent d’une opiniâtreté et d’un peu de scrupules constitutifs d’espièglerie (c. 2.4). Même dans une perspective uniquement quantitative, il est conforme au droit fédéral de qualifier le comportement du recourant d’abusif au sens de l’art. 179septies aCP au vu du nombre conséquent de messages qu’il a adressés à la plaignante. Partant, le grief du recourant est rejeté (c. 2.5).

Le recourant reproche à l’autorité cantonale d’avoir retenu les infractions de menaces et d’utilisation abusive d’une installation de télécommunication en concours pour les mêmes faits. Il fait valoir que l’infraction de menaces devait absorber celle d’utilisation abusive d’une installation de télécommunication (c. 3).

Le Tribunal fédéral n’a jamais statué sur la possibilité de retenir un concours idéal entre les art. 179septies aCP et art. 180 CP. Dans l’arrêt 6S.559/2000 du 29.12.2000 (c. 5), il a décidé que l’abus de téléphone était absorbé par la contrainte (art. 181 CP) car l’auteur avait harcelé téléphoniquement le lésé dans l’unique but de le soumettre à une pression afin d’obtenir le paiement d’une somme d’argent. Dans l’arrêt 6B_75/2009 du 2.6.2009 (c. 3.2.1), le Tribunal fédéral a établi que l’infraction d’utilisation abusive d’une installation de télécommunication pouvait entrer en concours idéal avec les désagréments causés par la confrontation à un acte d’ordre sexuel au sens de l’art. 198 al. 2 CP lorsque l’auteur exploite le potentiel de nuisance de cette technologie en s’en prenant à la victime au moyen de nombreux contacts téléphoniques obscènes. L’art. 179septies aCP devrait toutefois être considéré comme absorbé par l’art. 198 al. 2 CP lorsque l’auteur adresse un seul et unique message obscène à la victime (c. 3.1).

De nombreux auteurs estiment que la qualification d’abus d’une installation de télécommunication doit être écartée au profit de l’infraction plus grave commise par le prévenu au moyen d’appels ou de messages abusifs, soit notamment en cas d’extorsion ou de chantage, de menaces, de contrainte ou d’atteintes à l’honneur. Selon Corboz, lorsque l’installation de télécommunication est utilisée pour transmettre un message qui constitue en lui-même une infraction, l’art. 179septiesaCP est absorbé par la commission de cette infraction (Bernard Corboz, Les infractions en droit suisse, Vol. I, 3e éd., 2010, art. 179septies N 15). Toutefois, lorsqu’il ne s’agit pas d’un message isolé, mais que l’auteur harcèle la victime par le biais de plusieurs communications de même nature, un concours pourrait être retenu entre 1’art. 179septies aCP et une autre infraction, comme celle de menaces (ibid) (c. 3.2). 

En l’espèce, l’instance précédente a implicitement retenu l’existence d’un concours idéal entre l’infraction de menaces et celle d’utilisation abusive d’une installation de télécommunication en indiquant que l’abus était caractérisé par le nombre de messages et d’appels téléphoniques, qui avaient dérangé la victime, cependant que le contenu des messages, parfois menaçants, était aussi de nature à l’inquiéter. Il ressort du jugement entrepris que le recourant n’a pas épuisé le potentiel de nuisances du moyen de télécommunication par les seules menaces qu’il a proférées dans quelques messages, qui sont constitutives du délit réprimé par l’art. 180 CP. Dès lors que cette disposition consacre le droit de tout être humain de vivre en paix intérieure et de se sentir en sécurité en société (ATF 141 IV 1, c. 3.2.2 s.), alors que l’art. 179septies aCP protège le droit subjectif de la victime à ne pas être importunée par certains actes commis au moyen du téléphone, il n’y a aucun motif de ne pas réprimer spécifiquement ces différentes atteintes. En l’espèce, un concours idéal entre les art. 179septies aCP et 180 CP doit donc être retenu. Le Tribunal fédéral n’exclut toutefois pas catégoriquement que « l’infraction réprimée par l’art. 179septies CP doive être considérée comme absorbée dans le cas des quelques messages contenant spécifiquement une menace ». Si tel était le cas, il existerait néanmoins un concours réel entre les infractions d’utilisation abusive d’une installation de télécommunication et de menaces au vu du caractère abusif des nombreuses prises de contact du recourant (c. 3.3). 

Au vu de ce qui précède, la Cour cantonale n’a pas violé le droit fédéral en appliquant de manière concurrente les art. 179septies aCP et 180 CP, ce qui conduit au rejet du grief du recourant (c. 3.4). Le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité (c. 7).

III. Commentaire

Le Tribunal fédéral se prononce pour la première fois sur le rapport entre l’infraction d’utilisation abusive d’une installation de télécommunication et celle de menaces sous l’angle du concours. À l’instar de l’autorité précédente, mais contrairement à une partie de la doctrine, il établit qu’un concours idéal entre les art. 180 et 179septiesCP peut exister en cas de menaces formulées dans des messages. « Dans le cas des quelques messages contenant spécifiquement une menace » que le recourant a adressés à la plaignante, le Tribunal fédéral n’exclut toutefois pas que l’infraction de menaces absorbe celle d’utilisation abusive d’une installation de télécommunication, sans définir clairement les conditions qui permettraient d’en juger. Il précise que l’application conjointe des art. 179septies et 180 CP s’imposait dans tous les cas en l’espèce, que cela soit sous l’angle d’un concours réel ou idéal, au vu du fait que l’auteur n’a pas épuisé le potentiel de nuisances du moyen de télécommunication par les seules menaces proférées par messages. 

Cet arrêt ouvre la porte à ce qu’un concours idéal avec l’art. 179septies CP soit retenu dès que les communications téléphoniques abusives d’un auteur réalisent les éléments constitutifs d’une autre infraction. La jurisprudence devra clarifier les situations dans lesquelles l’utilisation abusive d’une installation de télécommunication est néanmoins absorbée par la commission d’une autre infraction. La question se posera avec une acuité particulière si le législateur adopte une disposition spéciale afin de réprimer le harcèlement obsessionnel (« stalking »), ce qui est actuellement l’objet de délibérations à l’Assemblée fédérale (cf. art. 181b P-CP). 

Proposition de citation : Justine Arnal, Harcèlement : concours idéal entre les infractions d’utilisation abusive d’une installation de télécommunication et de menaces, in : https://www.crimen.ch/272/ du 20 juin 2024