I. En fait
Le 30 mai 2022, A a circulé au volant d’un motocycle sur l’autoroute à 153 km/h, alors que la vitesse maximale autorisée sur ce tronçon était de 80 km/h. Après déduction de la marge de sécurité de 7km/h, il a commis un dépassement de la vitesse autorisée de 66 km/h. Né en 2001, il est titulaire d’un permis de conduire catégorie B depuis le 12 juin 2020 et catégorie A/35kW (motocycles) depuis le 1er juillet 2020.
Par jugement du 27 avril 2023, le Tribunal de police de la République et canton de Genève a condamné A à une peine privative de liberté de douze mois, assortie du sursis et d’un délai d’épreuve de trois ans, pour violation intentionnelle des règles fondamentales de la circulation routière au sens de l’art. 90 al. 3 et 4 LCR (« délit de chauffard »).
Par arrêt du 6 novembre 2023, la Chambre pénale d’appel et de révision de la Cour de justice genevoise a partiellement admis l’appel de A et l’a condamné à une peine pécuniaire de 180 jours-amende, assortie du sursis et d’un délai d’épreuve de trois ans. Pour le surplus, elle a confirmé le jugement de première instance.
Le Ministère public de la République et canton de Genève (ci-après : le Ministère public) forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral à l’encontre de l’arrêt du 6 novembre 2023. Il conclut principalement à la réforme de l’arrêt attaqué en ce sens que A est condamné à une peine privative de liberté de douze mois, assortie du sursis et d’un délai d’épreuve de trois ans, conformément au jugement de première instance.
II. En droit
Dans son recours, le Ministère public allègue une violation de l’art. 90 al. 3 et 3ter LCR (c. 2).
Selon l’art. 90 al. 3 LCR, celui qui, par une violation intentionnelle des règles fondamentales de la circulation, accepte de courir un grand risque d’accident pouvant entraîner de graves blessures ou la mort, que ce soit en commettant des excès de vitesse particulièrement importants, en effectuant des dépassements téméraires ou en participant à des courses de vitesse illicites avec des véhicules automobiles est puni d’une peine privative de liberté d’un à quatre ans. L’art. 90 al. 3ter LCR prévoit qu’en cas d’infractions au sens de l’al. 3, l’auteur peut être puni d’une peine privative de liberté de quatre ans au plus ou d’une peine pécuniaire s’il n’a pas été condamné, au cours des dix années précédant les faits, pour un crime ou un délit routier ayant gravement mis en danger la sécurité de tiers ou ayant entraîné des blessures ou la mort de tiers. L’art. 90 al. 3ter CP, qui est entré en vigueur le 1er octobre 2023 (RO 2023 453 ; FF 2021 3026), est plus favorable à l’intimé et s’applique au cas d’espèce en tant que lex mitior (c. 2.1.1 et 2.1.2).
Le Ministère public soutient que l’instance précédente ne pouvait pas mettre l’intimé au bénéfice d’une peine allégée en vertu de l’art. 90 al. 3ter LCR, dès lors que celui-ci a obtenu son permis de conduire en 2020, soit il y a moins de dix ans. L’auteur devrait avoir présenté un parcours d’automobiliste irréprochable pendant dix ans pour qu’une exception à la peine privative de liberté minimale d’un an, applicable aux délits de chauffard, soit envisageable. L’art. 90 al. 3ter LCR ne pourrait pas profiter aux jeunes conducteurs qui n’ont conduit que durant quelques années, faute pour ces derniers d’avoir pu démontrer un respect suffisant, sur la durée, des règles de la circulation routière. Afin de ne pas favoriser indûment les automobilistes qui enfreignent gravement les règles fondamentales de la circulation peu après l’obtention de leur permis, il faudrait réserver l’application de l’art. 90 al. 3ter LCR aux conducteurs ayant fait leurs preuves durant au moins sept ans, conformément aux recommandations de la Conférence suisse des Ministères publics (c. 2.2.1 et 2.2.2).
Le Tribunal fédéral souligne qu’il n’a pas encore eu l’occasion d’examiner le sens de la formule « au cours des dix années précédant les faits » de l’art. 90 al. 3ter LCR (TF 6B_1379/2023 du 11.9.2024). Selon la doctrine, cette disposition fait de l’absence d’antécédent spécifique une circonstance atténuante spéciale. Ce nouveau facteur d’atténuation de la peine crée une inégalité de traitement liée à l’âge de l’auteur et/ou à la date à laquelle il a acquis son permis de conduire. La doctrine estime que la période de sept ans préconisée par la Conférence suisse des Ministères publics doit être rejetée en tant qu’elle s’écarte du texte clair de la loi (c. 2.3.2).
La révision de la loi fédérale sur la circulation routière avait notamment pour but d’accorder une plus grande marge d’appréciation aux tribunaux dans la répression des délits de chauffard (cf. crimen.ch/295/). L’Assemblée fédérale avait ainsi prévu d’abolir la peine privative de liberté minimale d’un an de l’art. 90 al. 3 LCR. Afin d’éviter un référendum, le Parlement a finalement décidé de la maintenir. Toutefois, il a adopté l’art. 90 al. 3bis et al. 3ter LCR dans le but de conférer à l’autorité judiciaire une plus grande latitude dans le cadre de la fixation de la peine. Ainsi, bien que la peine plancher d’un an ait été conservée pour les violations graves des règles de la circulation routière, des exceptions ont été prévues afin d’accroître la marge d’appréciation des tribunaux (c. 2.3.3).
En l’espèce, la Cour cantonale a jugé que l’intimé pouvait bénéficier d’une atténuation de la peine au sens de l’art. 90 al. 3ter LCR, dès lors qu’il ne présentait aucun antécédent en matière de circulation routière. Eu égard aux circonstances de l’infraction (bonne visibilité, conditions de circulation favorables, absence d’autres automobilistes à proximité) et à la prise de conscience de l’intimé quant à la gravité des faits, une peine pécuniaire de 180 jours amende avec sursis, assortie d’un délai d’épreuve de trois ans, suffirait à le détourner de la commission d’autres infractions (c. 2.4).
Selon le Tribunal fédéral, l’art. 90 al. 3ter LCR est problématique à plusieurs égards : il contredit notamment la jurisprudence constante selon laquelle l’absence d’antécédents spécifiques exerce en principe un effet neutre sur la fixation de la peine (ATF 141 IV 61, c. 6.3.2 et ATF 136 IV 1, c. 2.6). En outre, il comporte un risque d’inégalité de traitement lié à l’âge du conducteur. En effet, plus l’auteur est âgé, plus il a eu l’occasion de commettre un « crime ou un délit routier » au sens de l’al. 3ter. Toutefois, la disposition ne fait aucune référence à la date d’obtention du permis de conduire, à ses modalités (à l’essai ou définitif) ou au nombre d’années de conduite accumulées par l’auteur. L’interprétation littérale et historique de l’art. 90 al. 3ter LCR permet donc de conclure que l’examen des condamnations prononcées à l’encontre d’un auteur « au cours des dix années précédant les faits » est indépendant de la date d’obtention de son permis de conduire ou de la durée de sa pratique de la conduite. Les conducteurs ayant moins de dix ans d’expérience peuvent par conséquent également profiter de l’atténuation de peine de l’art. 90 al. 3ter LCR (c. 2.5.1, 2.5.2 et 2.6).
In casu, l’intimé n’a pas été condamné pour un crime ou un délit routier ayant gravement mis en danger la sécurité de tiers ou ayant entraîné des blessures ou la mort de tiers au cours des dix années précédant les faits. Par conséquent, l’autorité précédente pouvait, sans violer l’art. 90 al 3ter LCR, le condamner à une peine pécuniaire de 180 jours-amende assortie du sursis (c. 2. 6).
Au vu de ce qui précède, le recours du Ministère public est rejeté (c. 3).
III. Commentaire
Le raisonnement du Tribunal fédéral est entièrement conforme au texte de l’art. 90 al. 3ter LCR, qui ne mentionne pas qu’une atténuation de la peine devrait être réservée aux conducteurs ayant obtenu leur permis de conduire au moins dix ans avant les faits litigieux. Il correspond également à la volonté du législateur, qui souhaitait mettre fin à l’automatisme de la peine plancher d’un an de privation de liberté en cas de délit de chauffard. Afin de se conformer à cet arrêt, la Conférence suisse des Ministères publics a amendé ses recommandations le 23 janvier 2025 : la référence à l’exigence de titularité du permis de conduire durant sept ans au moins a été supprimée (cf. Recommandations relatives à la mise en œuvre du privilège du délinquant primaire au sens de l’art. 90 al. 3ter LCR).
Comme la doctrine et le recourant le soulignent, l’art. 90 al. 3ter LCR favorise les nouveaux conducteurs, car ces derniers sont moins à risque d’avoir déjà commis de graves infractions routières. En pratique, cette inégalité de traitement pourrait toutefois être nuancée par le caractère potestatif (« Kann-Vorschrift ») de l’exception de l’art. 90 al. 3ter LCR. En effet, l’atténuation de la peine prévue par cette disposition n’est pas automatique et n’a pas vocation à profiter à chaque auteur d’un délit de chauffard n’ayant pas d’antécédents spéciaux. Qu’il s’agisse d’un conducteur expérimenté ou novice, l’autorité judiciaire devra apprécier l’ensemble des circonstances du cas d’espèce afin de déterminer si une sanction inférieure à la peine plancher d’un an de peine privative de liberté de l’art. 90 al. 3 LCR est suffisante pour prévenir la récidive.