I. En fait
Le 20 février 2021, A, déguisé en joggeur, F, déguisé en employé de la poste, B et un autre individu se rendent au domicile d’un couple en voiture. Un des époux leur ouvre la porte d’entrée. Les quatre individus entrent dans la maison. Ils attachent le mari à un tuyau dans l’obscurité pendant environ 15 à 30 minutes après lui avoir scotché la bouche. Ils interrogent le couple dans l’espoir d’obtenir des informations concernant de grandes sommes d’argent qui seraient cachées dans la maison. Le couple ne dévoile aucune information et les quatre individus quittent les lieux avec un total d’au moins 500 francs.
Par jugements du 16 mars 2023, le Tribunal d’arrondissement de Zofingue reconnaît notamment A et B coupables de brigandage qualifié.
Par arrêts du 11 mars 2024, l’Obergericht du canton d’Argovie confirme les jugements de première instance sur ce point.
A (6B_385/2024) et B (6B_390/2024) forment tous deux recours en matière pénale devant le Tribunal fédéral à l’encontre des arrêts cantonaux du 11 mars 2024 et concluent notamment à leur acquittement concernant le chef d’accusation de brigandage qualifié.
II. En droit
Il convient de s’attarder sur le grief principal des recourants concernant les conditions d’exploitabilité d’enregistrements vidéo effectués par des personnes privées. Les recourants contestent le fait que, dans le cadre de l’établissement des faits, la cour cantonale se soit notamment fondée sur des enregistrements de caméras de surveillance avoisinantes provenant d’une maison et d’une station d’essence.
Le TF, considérant que ces deux moyens de preuve ont eu une certaine importance pour la cour cantonale dans son établissement des faits reprochés à A et B, se penche sur leur exploitabilité et les conditions de celle-ci (c. 2.2).
Notre Haute Cour rappelle que l’exploitabilité d’une preuve recueillie illicitement par un particulier repose sur deux conditions cumulatives : d’une part, l’autorité de poursuite pénale doit avoir pu la récolter légalement, et d’autre part, une pesée des intérêts doit justifier son exploitation. Concernant la seconde condition, il convient d’appliquer le même critère que celui imposé pour l’exploitation d’une preuve recueillie par l’autorité, à savoir que la preuve doit être indispensable à l’élucidation d’une infraction grave (art. 141 al. 2 CPP) (c. 2.3).
En l’espèce, le TF confirme que les deux enregistrements constituent des preuves recueillies par des particuliers. A l’instar de la cour cantonale et vu l’issue du recours par devant son autorité, le TF balaye d’emblée la question de l’éventuelle illicéité de l’obtention desdites preuves (c. 2.4). En effet, après un examen approfondi (c. 2.6), le TF admet l’exploitabilité des enregistrements vidéo litigieux dans le cas où ceux-ci auraient été effectués de manière illicite, de sorte que leur qualification de licite ou illicite n’a que peu d’importance.
Les recourants ne remettent pas en cause le fait que la cour cantonale ait qualifié l’infraction de brigandage qualifié de « grave » au sens de l’art. 141 al. 2 CPP. Cette qualification n’étant pas manifestement inexacte, le TF ne s’y attarde pas en considérant que la seconde condition de l’exploitabilité, à savoir la pesée des intérêts, est remplie dans le cas d’espèce (c. 2.5).
Notre Haute Cour procède ensuite à un examen approfondi de la condition du recueil hypothétique licite par l’autorité (c. 2.6).
Le TF explore sa jurisprudence antérieure qui avait confirmé l’usage de l’approche abstraite dans l’analyse de ladite condition (notamment : TF 6B_786/2015 du 8.2.2016, c. 1.3.1 avec référence à Godenzi Gunhild, Private Beweisbeschaffung im Strafprozess, Zürich 2008 ; TF 6B_68/2023 du 9.10.2023, c. 2.3 ; TF 6B_85/2021 du 26 novembre 2021, c. 7.4). En s’appuyant également sur l’ouvrage doctrinal de Godenzi précité, et en particulier ses propos relatifs à la nature de l’hypothèse, le TF retient qu’il n’y a pas lieu de procéder à une appréciation concrète des circonstances lors de l’examen des exigences légales en la matière – une appréciation abstraite étant suffisante. Il n’est ainsi pas nécessaire d’examiner, de manière concrète, les circonstances lors du recueil de la preuve, telles que l’existence d’indices qui auraient pu mener l’autorité à avoir des soupçons si elle en avait eu connaissance. Il convient de vérifier de manière abstraite si le moyen de preuve en question est permis par la loi et s’il n’est pas exclu par une restriction légale (à l’instar de l’art. 269 al. 2 CPP). Le TF affirme que lorsque, dans sa jurisprudence antérieure, il a fait mention de l’existence de soupçons existants, ce n’était que pour admettre le recueil hypothétique licite de l’autorité, et non pour le nier. Implicitement, notre Haute Cour qualifie l’existence de soupçons concrets laissant présumer une infraction au moment de l’enregistrement comme n’étant pas une condition sine qua non (c. 2.6.2.1 et c. 2.6.2.2).
Le TF estime que le besoin d’une approche concrète en la matière n’est pas démontré par la doctrine, et que cette dernière ne soulève pas d’objections à l’approche abstraite (c. 2.6.2.3).
L’instance inférieure ne viole pas le droit fédéral lorsqu’elle retient que les deux enregistrements vidéo auraient pu, par hypothèse, être recueillis de manière licite par l’autorité de poursuite pénale. Contrairement à ce que soutiennent les recourants, il n’est pas déterminant d’établir s’il existait des soupçons au moment de la réalisation des enregistrements vidéo, ou s’il existait des circonstances qui auraient pu donner lieu à des soupçons (c. 2.6.3).
Le TF balaye ensuite divers autres griefs soulevés par les recourants, relatifs notamment à l’établissement des faits (c. 3), la qualification juridique des actes des recourants (c. 4), la fixation de la peine (c. 5), la révocation du sursis (c. 6) et l’expulsion (c. 7).
Le TF rejette le recours dans la mesure de sa recevabilité (c. 9).
III. Commentaire
De manière surprenante, le TF affirme dans sa décision que, par le passé, il n’a fait référence à l’existence de soupçons concrets laissant présumer une infraction que pour admettre la condition du recueil hypothétique licite de l’autorité. Comme le relève Fabio Burgener (commentaire iusNet du 27 janvier 2025), la jurisprudence de notre Haute Cour n’est, en réalité, pas constante en la matière.
Contrairement à ce que prétend le TF dans le présent arrêt, il a eu fait référence à l’inexistence de soupçons concrets dans le but de démontrer que la condition du recueil hypothétique licite de l’autorité n’était pas remplie, et ce à deux reprises à tout le moins (TF 6B_53/2020 du 14.7.2020, c. 1.3 ; TF 1B_22/2012 du 11.5.2012 c. 2.2).
Il convient de retenir que le TF a préféré éviter de parler d’un quelconque revirement de jurisprudence en la matière, alors que cela aurait peut-être été bienvenu. Plutôt que d’en rester au silence en faisant simplement abstraction de ses précédentes décisions allant à l’encontre du présent arrêt, notre Haute Cour est allée jusqu’à affirmer que de telles jurisprudences n’existaient pas. L’on peut se demander pourquoi.