Responsabilité pénale de l’expert fiscal en cas de soustraction d’impôt anticipé (art. 61 al. 1 LIA en lien avec l’art. 5 DPA) : conseiller n’est pas instiguer

Le fait de conseiller son client sur les moyens légaux pour « échapper » au paiement de l’impôt anticipé et les risques fiscaux potentiels ne saurait être assimilé à une instigation du client à ne pas déclarer spontanément l’impôt anticipé.

I. En fait

A est titulaire du brevet d’avocat et du brevet d’expert fiscal. Il a travaillé en qualité de conseiller fiscal au sein du cabinet d’audit financier et de conseil D SA. D SA était alors l’organe de révision de C SA, société qui exploite sur plusieurs sites en Suisse des surfaces commerciales dans lesquelles sont situés des magasins.

Les 6 et 7 avril 2011, C SA s’est vu accorder un prêt de CHF 93’000’000.- au taux d’intérêt de 3,15% par an durant 5 ans par une société faisant partie du même groupe. 

Par contrat du 10 juillet 2014, C SA a mandaté D SA pour analyser les risques fiscaux, de même que les pistes de négociation avec l’Administration cantonale des impôts du canton de Vaud, afin de limiter le risque de reprises fiscales. Le 21 août 2014, D SA, représentée par A, a adressé au représentant de C SA un Mémorandum, dans lequel il était suggéré, s’agissant du taux d’intérêt de 3,15 % appliqué aux dettes intergroupes de C SA, de qualifier ces dernières de crédit d’exploitation pour que l’Administration cantonale se base sur les taux d’intérêts applicables à de tels crédits lors de la détermination des intérêts excessifs qualifiés de prestations appréciables en argent soumises à l’impôt anticipé. Il était aussi conseillé de réaliser une étude de prix de transfert dont le but était de démontrer que le taux d’intérêt de 3,15 % convenu avec la société prêteuse était conforme au prix du marché. Cette étude a été établie par D SA, puis remise à l’Administration cantonale. 

À l’issue d’un contrôle aléatoire, l’Administration fédérale des contributions a informé C SA qu’elle considérait qu’une partie des charges d’intérêts comptabilisées dans les comptes d’exercices 2011 à 2015 n’étaient pas commercialement justifiées. C SA s’est acquittée de l’impôt anticipé dû en juillet 2016. 

Par prononcé pénal du 8 novembre 2021, l’AFC a condamné A pour instigation à la soustraction d’impôt anticipé pour les exercices 2013 et 2014 et a prononcé une amende de CHF 30’000.- à son encontre. Le même jour, le représentant de C SA a été condamné pour soustraction d’impôt anticipé par dol éventuel pour les exercices précités.

D’abord acquitté en décembre 2022 par le Tribunal de police de l’arrondissement de la Côte, A a été condamné sur appel de l’AFC par la Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud. Par arrêt du 24 août 2023, celle-ci a reconnu l’expert fiscal coupable d’instigation à la soustraction d’impôt anticipé pour l’exercice 2014 et l’a condamné à une amende de CHF 8’000.-. 

A forme un recours en matière pénale à l’encontre de ce jugement, concluant principalement à ce que ledit jugement soit réformé en ce sens qu’il est refusé d’entrer en matière sur l’appel de l’AFC respectivement que cet appel est déclaré irrecevable, et que le jugement du Tribunal de police soit confirmé.

II. En droit

Dans son premier considérant, le Tribunal fédéral confirme la recevabilité de l’appel formé par l’AFC, au motif que les critiques de l’AFC revenaient à invoquer l’arbitraire dans l’appréciation des preuves et l’établissement des faits de manière conforme à l’art. 398 al. 4 CPP, tout en laissant ouverte la question de savoir si les exigences accrues en matière de démonstration de l’arbitraire valent dans ce contexte (c. 1). Ensuite, notre Haute Cour rejette le grief de violation des art. 6 CEDH et 406 al. 1 CPP invoqué par A qui se plaint d’une violation de son droit d’être entendu, motif pris que l’autorité précédente a traité l’appel de l’AFC en procédure écrite et non pas orale. Dès lors que l’art. 406 al. 1 let. c CPP était applicable en l’espèce, l’affaire pouvait être jugée de manière adéquate par le Tribunal cantonal sans avoir à tenir de nouveaux débats oraux (c. 2).

A invoque également une violation de l’art. 398 al. 4 CPP. Il reproche à l’instance précédente d’avoir retenu à tort que l’appréciation des premiers juges, selon laquelle son comportement s’était limité à examiner les risques fiscaux liés aux intérêts payés par C SA et à orienter cette dernière, était arbitraire. En retenant au contraire qu’il avait sciemment incité le représentant de C SA à ne pas déclarer spontanément à l’AFC les prestations appréciables en argent litigieuses, la cour cantonale avait outrepassé le pouvoir d’examen limité qui était le sien (c. 3).

Le Tribunal fédéral commence par rappeler que lorsque le recours en matière pénale est dirigé contre une décision d’une autorité de dernière instance dont le pouvoir d’examen est limité à l’arbitraire en matière de constatation des faits (art. 398 al. 4 CPP), l’examen du Tribunal fédéral porte concrètement sur l’arbitraire du jugement de l’autorité précédente, à la lumière des griefs soulevés par le recourant. Conformément aux exigences de motivation accrues en la matière (art. 106 al. 2 LTF ; ATF 150 I 50, c. 3.3.1), le recourant doit exposer pourquoi l’autorité précédente aurait à tort admis ou nié l’arbitraire dans l’appréciation des preuves faite par l’autorité de première instance et, en définitive, aurait établi elle-même les faits de manière arbitraire. Le Tribunal fédéral se prononce librement sur cette question (TF 6B_586/2024 du 4.9.2024, c. 3.1, 6B_1360/2022 du 22.7.2024, c. 3.5.2 et les arrêts cités) (c. 3. 1).  

En l’espèce, le Mémorandum signé par A indiquait, après l’énoncé de plusieurs hypothèses justifiant la conformité du taux d’intérêt litigieux avec le prix du marché, ce qui suit : 

« Veuillez noter qu’il existe un risque que [l’Administration cantonale] communique les prestations appréciables en argent à l’AFC. L’impôt anticipé de 35 % (…) serait alors dû sur les prestations appréciables en argent calculées par [l’Administration cantonale]. C devrait alors payer l’impôt anticipé de 35 % à l’AFC » (c. 3.2 1er par.). 

La Cour d’appel en a déduit que le recourant avait identifié un risque de devoir payer l’impôt anticipé et avait expliqué au représentant de C SA les moyens d’y échapper. À la suite d’une demande de renseignements de l’AFC en septembre 2015, le recourant avait en outre écrit au représentant de C SA que le risque d’impôt anticipé sur le taux d’intérêt excessif devait être considéré comme relativement élevé. Les Juges cantonaux ont également constaté que la conseillère fiscale au sein de D SA avait, dans une note manuscrite de septembre 2014, inscrit que « si l’AFC vient », il y aura « 35 % d’impôt anticipé ou 53 % brut pour net » et, dans une autre note manuscrite de novembre 2014, « risque IA que si AFC fait un contrôle ». Enfin, le réviseur de C SA et collaborateur au sein de D SA avait, en décembre 2014, indiqué oralement au représentant de C SA que l’enregistrement d’une provision pour risque liée à l’impôt anticipé ne serait nécessaire qu’à partir du moment où un contrôle de l’AFC serait annoncé, ce qui aurait pour effet que le risque de devoir payer l’impôt anticipé deviendrait probable (c. 3.2 2e par.).

Les Juges de Mon-Repos indiquent d’emblée ne pas partager l’appréciation de l’instance précédente (c. 3.3 1er par.). Même à retenir que, dans le Mémorandum, le recourant aurait exposé les moyens « d’échapper » au paiement de l’impôt anticipé, il n’est pas possible d’en déduire de manière soutenable que l’intéressé aurait ainsi sciemment incité le représentant de C SA à ne pas déclarer et payer ledit impôt. Le Tribunal fédéral précise au passage que les moyens en question sont légaux, puisqu’il s’agissait de tenter de démontrer que les intérêts payés sur les prêts intergroupes ne constituaient pas des prestations appréciables en argent imposables. Notre Haute Cour ne trouve pas non plus que l’examen des risques auquel le recourant a procédé correspond à une recommandation de ne rien entreprendre. Quant au courrier que le recourant a adressé au représentant de C SA en septembre 2015, il est postérieur à la date de commission de l’infraction dénoncée et ne pouvait donc jouer aucun rôle dans la formation de la volonté de l’intéressé (c. 3.3 2e par.). En outre, les notes manuscrites internes mentionnées par la Cour d’appel n’ont pas été écrites par A, mais par une conseillère fiscale au sein de D SA et aucun élément ne permet d’affirmer qu’elles auraient été envoyées au représentant de C SA ou qu’elles retranscriraient un conseil qui lui aurait été donné. S’agissant de l’indication faite par le réviseur de C SA au représentant de C SA sur le besoin de provisionner un risque pour l’impôt anticipé, retenir, sans explication, que A aurait incité ledit réviseur à effectuer une telle recommandation est arbitraire (c. 3.3 3e par.) Finalement, le Tribunal fédéral indique que le jugement cantonal est muet sur la question de savoir en quoi la constatation de fait des premiers juges, selon laquelle il n’existait aucune pièce au dossier disant que l’impôt anticipé était dû et qu’il ne fallait pas le déclarer, serait arbitraire (c. 3.3 4e par.). 

En définitive, le Tribunal fédéral retient que c’est à tort que la juridiction d’appel a admis l’arbitraire dans l’appréciation des faits et des preuves effectuée par les premiers juges pour substituer la sienne qui s’avère manifestement insoutenable. En lieu et place, et selon une application conforme de l’art. 398 al. 4 CPP, l’autorité inférieure aurait dû retenir que le recourant s’est limité à défendre le taux d’intérêt litigieux face aux autorités fiscales ainsi qu’à fournir une analyse des risques fiscaux dans l’hypothèse où ledit taux n’était pas accepté, sans inviter le représentant de C SA à ne pas spontanément déclarer et payer l’impôt anticipé à l’AFC. Pareille constatation de fait excluait ainsi une condamnation pour instigation à la soustraction d’impôt anticipé (art. 61 al. 1 LIA cum art. 5 DPA) (c. 3.4).

Au vu de ce qui précède, le Tribunal fédéral admet le recours de A. Le jugement attaqué est réformé en ce sens que A est acquitté du chef d’instigation à la soustraction d’impôts au sens de l’art. 61 al. 1 LIA en lien avec l’art. 5 DPA (c. 4).

III. Commentaire

Cet arrêt illustre le fait qu’en matière de droit pénal fiscal, les infractions sont fréquemment des contraventions (voir par exemple les dispositions pénales de la LIA), raison pour laquelle le pouvoir d’examen de la juridiction d’appel est, en principe, limité à l’arbitraire s’agissant de la constatation des faits (art. 398 al. 4 CPP). Pour la même raison, l’art. 406 al. 1 let. c CPP peut trouver application dans ce genre d’affaires, avec pour conséquence que le tribunal pourra traiter l’appel en procédure écrite. Le prévenu, respectivement son défenseur, devraient donc veiller à ce que les pièces pertinentes pour le prononcé d’un acquittement figurent au dossier au terme de la procédure de première instance. L’art. 398 al. 4 CPP prévoit en effet qu’aucune nouvelle allégation ou preuve ne peut être produite en appel. 

Dans la présente affaire, le Tribunal fédéral a rejeté le même jour le recours du représentant de C SA à l’encontre du jugement le condamnant pour soustraction d’impôt anticipé. Les Juges fédéraux ont rappelé que, selon le principe d’auto-taxation applicable en matière d’impôt anticipé, il est attendu du contribuable qu’il ait une connaissance particulière de ses obligations fiscales et, partant, qu’il les accomplisse correctement (TF 6B_90/2024 du 3.2.2025, c. 5). Or le fait de conseiller son client sur des moyens qui ne dépassent pas le cadre légal, afin de démontrer que la prestation en question n’est pas imposable, ne saurait, selon l’arrêt commenté et à juste titre, représenter une instigation du client à ne pas respecter ses obligations fiscales.

Proposition de citation : Kiana Ilyin, Responsabilité pénale de l’expert fiscal en cas de soustraction d’impôt anticipé (art. 61 al. 1 LIA en lien avec l’art. 5 DPA) : conseiller n’est pas instiguer, in : https://www.crimen.ch/321/ du 13 mars 2025