I. En fait
Le 30 octobre 2018, les autorités russes adressent une demande d’assistance administrative internationale en matière fiscale à l’Administration fédérale des contributions (ci-après : AFC) au sujet de la société russe A, fondée sur l’art. 25a de la Convention du 15 novembre 1995 entre la Confédération suisse et la Fédération de Russie en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (ci-après : CDI CH-RU). En effet, elles soupçonnaient la société A d’avoir versé des dividendes à des sociétés chypriotes sur trois comptes bancaires ouverts en Suisse alors que ces dernières ne semblaient pas être les véritables bénéficiaires économiques des dividendes.
Par décision du 10 décembre 2019, l’AFC accorde l’assistance administrative aux autorités russes. La société A, ainsi que les sociétés chypriotes, forment un recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif fédéral. Par arrêt du 21 février 2022, celui-ci confirme la décision de l’AFC en considérant que les conditions de l’octroi de l’assistance administrative étaient remplies.
Les sociétés saisissent alors le Tribunal fédéral d’un recours en matière de droit public.
Par ordonnance du 31 mai 2022, le Tribunal fédéral, à la demande des recourantes, suspend la procédure pour une durée de quatre mois, soit jusqu’au 30 septembre 2022. Par une nouvelle ordonnance du 25 novembre 2022, il prolonge la suspension pour une durée indéterminée, précisant néanmoins que la procédure pourrait être reprise à tout moment, d’office ou sur demande, en fonction de l’évolution de la situation.
Le 31 octobre 2023, les recourantes déposent une requête de mesures provisionnelles, informant le Tribunal fédéral que la Russie avait notifié à l’une des sociétés recourantes, à son domicile suisse, des actes judiciaires la désignant comme membre d’une organisation terroriste visant la Russie. En conséquence, le Procureur général de Russie avait ordonné la confiscation de tous ses biens et de ceux des autres actionnaires de la société en Russie.
Par ordonnance du 13 novembre 2023, le Tribunal fédéral ordonne la reprise de la procédure. Puis, par ordonnance du 22 décembre 2023, il déclare notamment que la décision sur la poursuite de la suspension de la procédure doit être prise ultérieurement.
Dans des observations spontanées déposées les 31 janvier, 19 février et 29 février 2024, les recourantes se sont opposées à une nouvelle suspension de la procédure et ont demandé au Tribunal fédéral de rejeter la demande d’assistance administrative.
II. En droit
Le Tribunal fédéral relève que la question qui se pose dans le cas d’espèce est le fait de savoir quelle suite donner à la demande d’assistance formée par la Russie le 30 octobre 2018 au vu du contexte actuel. Il relève que la Russie n’a ni retiré sa demande ni suspendu la disposition de la CDI CH-RU sur laquelle elle se fonde (c. 8).
Dans un premier temps, la Haute Cour a rappelé que des questions similaires avaient déjà été tranchées dans deux arrêts antérieurs (ATF 149 IV 144 et ATF 150 IV 201). Ces affaires concernaient des demandes d’entraide pénale formulées par les autorités russes visant des mesures conservatoires sur des comptes bancaires. Le Tribunal fédéral y a jugé qu’à la suite de son intervention militaire en Ukraine et de son retrait du Conseil de l’Europe et de la Convention européenne des droits de l’homme, la Fédération de Russie ne faisait en effet actuellement plus partie des États pouvant obtenir l’entraide judiciaire. Il avait alors décidé de ne pas annuler ces mesures mais de les suspendre, tout en veillant à leur conformité avec le principe de proportionnalité (ATF 149 IV 144, c. 2.3 à 2.6). Toutefois, il avait également souligné que la situation actuelle ne permettait pas d’anticiper une évolution favorable à court terme (ATF 150 IV 201, c. 2.2) (c. 8.1).
Dans un second temps, le Tribunal fédéral expose que deux solutions se profilent : suspendre à nouveau la procédure ou rejeter la demande d’assistance de la Russie. S’agissant de la suspension de la procédure, le Tribunal fédéral estime qu’elle va à l’encontre du principe de diligence et de célérité, et doit demeurer exceptionnelle. Ainsi, elle n’est envisageable qu’en présence d’une situation limitée dans le temps. Or, comme le Tribunal fédéral l’a déjà souligné, la situation actuelle ne permet pas d’envisager une évolution à court terme, rendant la durée d’une nouvelle suspension incertaine. Partant, il écarte cette solution et opte pour un rejet de la demande d’assistance en application de la réserve de l’ordre public (art. 25a § 3 let. c CDI CH-RU). Le Tribunal fédéral justifie cette décision en soulignant que la procédure en l’espèce ne porte que sur une mesure ponctuelle concernant la transmission de renseignements bancaires. Par conséquent, le rejet de la demande d’assistance n’entrave pas une mesure durable et ne prive pas la Russie de la possibilité de déposer ultérieurement une demande similaire, qui sera appréciée en fonction du contexte futur (c. 8.3).
Au vu de ce qui précède, le recours est admis et la décision du 10 décembre 2019 octroyant l’assistance administrative à la Russie est annulée (c. 9).
III. Commentaire
Cet arrêt s’inscrit dans la continuité des décisions précédentes du Tribunal fédéral. Si cette solution mérite d’être saluée, elle ne représente toutefois pas un enjeu majeur pour le Tribunal, qui souligne d’ailleurs que les autorités russes restent libres de soumettre une nouvelle demande d’assistance ultérieurement, faute pour les décisions rendues en la matière de bénéficier de l’autorité matérielle de chose jugée. Par ailleurs, qu’il s’agisse d’une suspension ou d’un rejet de la demande, le résultat de cette affaire demeure identique : priver les autorités russes de l’accès à la documentation bancaire.