I. En fait
Le 24 novembre 2020, dans un grand magasin, A s’empare d’un couteau à la lame de 21 cm et, après avoir sélectionné au hasard une femme parmi les personnes présentes, s’approche d’elle par derrière et lui assène un coup de couteau au cou et au visage tout en criant « Allahu akbar ». Laissant cette première victime pour morte, laquelle survit, A se dirige ensuite vers une deuxième femme qui parvient néanmoins à bloquer son coup de couteau. Avec l’aide d’autres personnes, l’intéressée est désarmée et immobilisée jusqu’à l’arrivée des forces de l’ordre.
Par jugement du 19 septembre 2022, la Cour des affaires pénales du Tribunal pénal fédéral reconnaît A coupable de tentatives multiples d’assassinat, mais aussi, pour d’autres faits, de violation de l’art. 2 Loi fédérale interdisant Al-Qaïda et l’État islamique. Elle est condamnée à une peine privative de liberté de 9 ans compte tenu de sa diminution moyenne de sa responsabilité, ainsi qu’à un traitement institutionnel sur la base de l’art. 59 al. 3 CP.
Par arrêt du 21 août 2023, saisi notamment par appel du Ministère public de la Confédération, la Cour d’appel du Tribunal pénal fédéral retient l’existence d’un concours idéal entre, d’une part, l’art. 112 cum 22 CP et, d’autre part, l’art. 2 al. 1 LAQEI pour les faits du 24 novembre 2020. Il s’ensuit qu’A est également reconnue coupable de violation de l’art. 2 LAQEI pour ces faits. La sanction est de ce fait augmentée, car elle condamnée à une peine privative de liberté de 10 ans et 6 mois.
A forme un recours en matière pénale en sollicitant notamment son acquittement pour violation de l’art. 2 LAQEI pour les faits du 24 novembre 2020.
II. En droit
Le Tribunal fédéral débute par présenter le grief principal de la recourante, selon qui un concours idéal entre l’art. 112 cum 22 CP et l’art. 2 LAQEI ne saurait être retenu, dès lors que ses convictions religieuses et son soutien à l’idéologie de l’État islamique ont d’ores et déjà été pris en considération au titre du mobile particulièrement odieux caractérisant le crime d’assassinat. À cela s’ajoute que la disposition précitée, à l’instar de l’art. 260ter CP, n’aurait qu’un caractère subsidiaire devant s’effacer par l’entrée en jeu d’autres infractions. Dès lors que seul un concours imparfait ne devrait être retenu entre ces infractions, la recourante soutient qu’elle devrait uniquement être condamnée pour tentative d’assassinat s’agissant des faits du 24 novembre 2020 (c. 2.1).
Notre Haute Cour rappelle ensuite que l’art. 49 al. 1 CP prévoit que « si, en raison d’un ou de plusieurs actes, l’auteur remplit les conditions de plusieurs peines de même genre, le juge le condamne à la peine de l’infraction la plus grave et l’augmente dans une juste proportion ». Il y a concours idéal, lorsque, par un seul acte ou un ensemble d’actes formant un tout, l’auteur enfreint plusieurs dispositions pénales différentes, dont aucune ne saisit l’acte délictueux sous tous ses aspects. Pour déterminer s’il existe un concours idéal entre deux infractions ou si, au contraire, l’une absorbe l’autre, il convient d’examiner si les biens juridiques protégés par chacune d’elles se recoupent. S’ils ne se recoupent pas entièrement, aucune des deux infractions ne prend en compte le comportement de l’auteur dans tous ses aspects, de sorte que les deux doivent être retenues (ATF 133 IV 297, c. 4.1 et 4.2) (c. 2.2.1).
Dans un troisième temps, les Juges fédéraux présentent l’historique de la Loi fédérale interdisant Al-Qaïda et l’État islamique et son contenu (c. 2.2.2 1er et 2e par.). Son art. 2 sanctionne toutes les activités, en Suisse et à l’étranger, des organisations et groupes interdits, de même que les actes visant à leur fournir un soutien matériel ou humain. Il vise à protéger la sécurité publique en amont de la commission d’infractions. La menace que représente l’État islamique se manifeste par une propagande agressive et il existe un risque que celle-ci incite des personnes résidant en Suisse à commettre des attentats ou à adhérer à d’autres organisations terroristes. L’infraction opère un déplacement en amont de la punissabilité, dès lors qu’elle rend déjà répréhensible le soutien des organisations interdites et leur encouragement (c. 2.2.2 3e par.).
Au vu de ce qui précède, le Tribunal fédéral en conclut que l’art. 2 LAQEI vise à protéger la sécurité publique contre la menace potentielle émanant d’activités terroristes ou de l’extrémisme violent (c. 2.2.2 5e par.). Il constate en revanche que l’infraction d’assassinat au sens de l’art. 112 CP protège la vie humaine (c. 2.2.2 6e par.), de sorte que les biens juridiquement protégés par ces dispositions ne se recoupent pas entièrement (c. 2.2.2 7e par.).
Notre Haute Cour revient au cas d’espèce en présentant le raisonnement et les constatations de fait de l’instance inférieure (c. 2.3 1er par.). Elle souligne ensuite que la recourante n’a pas contesté leurs constatations, de sorte qu’elles lient le Tribunal fédéral. Il en ressort qu’en tentant d’assassiner des victimes choisies au hasard, la recourante s’est sciemment mise à disposition d’une organisation interdite par la LAQEI, en la soutenant et en encourageant ses activités. En portant ainsi atteinte à la vie et à l’intégrité des victimes, elle a simultanément commis un attentat visant à promouvoir et à encourager une organisation interdite et, ce faisant, menaçant la sécurité publique (c. 2.3 2e par.). C’est donc à juste titre que la Cour d’appel a retenu l’existence d’un concours idéal entre la (tentative) d’assassinat et l’infraction visée par l’art. 2 LAQEI (c. 2.3 3e par.). Le fait qu’un tel concours entraîne un alourdissement de la sanction ne saurait rien y changer, pas plus que l’invocation de l’art. 260ter CP, dont l’application au cas d’espèce n’est pas démontrée par la recourante (c. 2.3 4e par.). Enfin, la recourante ne soulève aucun grief en relation avec l’application de l’art. 2 LAQEI, en ne prétendant notamment pas que son comportement du 24 novembre 2020 ne réaliserait pas les éléments constitutifs de l’infraction (c. 2.3 5e par.).
Pour le surplus, le Tribunal fédéral écarte les autres griefs de la recourante (c. 3 à 6).
Partant, le recours est rejeté (c. 7).