La compétence pour accorder des allégements à l’exécution anticipée des peines et mesures revient aux autorités cantonales d’exécution

Suite à la modification de l’art. 236 CPP entrée en vigueur le 1er janvier 2024, le Tribunal fédéral abandonne sa jurisprudence selon laquelle la direction de la procédure était compétente aussi bien pour autoriser l’exécution anticipée des peines et mesures, que pour accorder d’éventuels allègements dans ce cadre. Désormais, seules les autorités cantonales d’exécution statueront sur les demandes d’allègement à l’exécution anticipée des peines et mesures.

I. En fait

A se trouve en détention depuis son arrestation le 5 janvier 2022. Il exécute sa peine de manière anticipée depuis le 28 juin 2022. Par jugement du 29 juin 2023 rendu par le Tribunal du district de Bülach (ZH), il est condamné à une peine privative de liberté de 64 mois assortie d’une expulsion de 14 ans, en raison de multiples infractions. Il fait appel de ce jugement auprès de la Cour suprême du canton de Zurich. Cette procédure d’appel est toujours pendante.

Au mois d’août 2024, A requiert l’allégement de l’exécution anticipée de sa peine sous la forme d’un congé accompagné, afin de pouvoir rendre visite à sa femme, ses enfants et d’autres membres de sa famille. Le service de probation et d’exécution des peines transmet la requête qui lui est adressée à la Cour suprême du canton de Zurich qui, par décision du 9 septembre 2024, n’entre pas en matière sur la requête, s’estimant incompétente.

A dépose un recours en matière pénale auprès du Tribunal fédéral (TF) à l’encontre de cette décision. Il conclut principalement au renvoi de la cause à l’instance inférieure pour que cette dernière traite sa requête sur le fond.

II. En droit

La décision incidente dont est recours porte sur une question de compétence, pour laquelle le recours en matière pénale est recevable (art. 92 al. 1 LTF). Partant, le TF entre en matière (c. 1).

Sur le plan formel, A se plaint d’une violation de son droit d’être entendu au motif que le Tribunal cantonal ne lui a pas donné l’occasion de se déterminer avant de rendre sa décision d’irrecevabilité. Le TF écarte ce premier grief en rappelant que la question de la compétence de l’autorité qui statue relève du droit et non du fait. Dans ce cadre, les parties n’ont le droit d’être interpellées que de manière restreinte. Il s’agit des cas où l’autorité entend se fonder sur des normes légales dont la prise en compte ne pouvait pas être raisonnablement prévue par les parties, où la situation juridique a changé ou encore lorsqu’il existe un pouvoir d’appréciation particulièrement large (ATF 145 I 167, c. 4.1). Ainsi et malgré la modification de l’art. 236 CPP dont il sera question ci-dessous, l’autorité inférieure n’avait pas à interpeller le recourant, représenté par un avocat d’office, avant de rendre sa décision sur sa compétence (c. 2.3).

En ce qui concerne la violation de l’art. 236 CPP invoquée par A, les juges fédéraux commencent par rappeler que jusqu’au 31 décembre 2023, cette disposition prévoyait que la direction de la procédure pouvait autoriser le prévenu à exécuter de manière anticipée une peine privative de liberté ou une mesure entraînant une privation de liberté si le stade de la procédure le permettait (al. 1). À partir du 1er janvier 2024, une condition supplémentaire a été ajoutée au texte précité. Désormais, le but de la détention provisoire ou de la détention pour des motifs de sécurité ne doit pas s’opposer à l’exécution anticipée (c. 3.3 et 3.4). Le législateur a introduit cette modification en raison des critiques de la doctrine selon laquelle les établissements pénitentiaires ne pouvaient pas appliquer plusieurs régimes d’exécution à la fois. Que ce soit au niveau de leur construction ou de leurs effectifs, ils n’étaient pas conçus pour accueillir des détenus présentant un risque de collusion, pour lesquels les contacts habituels avec l’extérieur n’étaient pas autorisés (FF 2019 6351, 6401 ; Benjamin F. Brägger, Das schweizerische Vollzugslexikon, 2e éd. 2022, 721; Brägger, Vorzeitiger Straf- und Massnahmenvollzug : eine kritische Analyse der rechtlichen Einordnung, in : RPS 141/2023 409 s.). Partant, l’exécution anticipée de la peine est toujours possible en cas de risque de fuite, de récidive, ou de passage à l’acte, mais plus en cas de risque de collusion (c. 3.5).

Notre Haute Cour relève ensuite que sauf disposition contraire de la loi, l’exécution des peines et des mesures des personnes condamnées sont de la compétence des cantons (art. 123 al. 2 Cst.). Les principes généraux sont fixés aux art. 74 à 92a CP ; les détails – y compris l’octroi d’allégements à l’exécution de la peine – sont régis par le droit cantonal et intercantonal. En revanche, l’exécution de la détention avant jugement est en partie régie par l’art. 235 al. 1 à 4 CPP ; pour le reste, les dispositions cantonales ou les règlements pénitentiaires s’appliquent en la matière (TF 1B_1/12023 du 30.1.2023, c. 6.1). Sous l’ancien droit, le TF a retenu que la compétence d’accorder des allégements – parmi lesquels figurent l’octroi de congés (cf. art. 84 al. 6 CP) – au cours de la détention avant jugement ne revenait pas aux autorités cantonales d’exécution, mais à la direction de la procédure, cette dernière étant mieux placée pour déterminer si l’exécution anticipée de la peine ou de la mesure comportait le risque de compromettre le motif de détention (risque de fuite, collusion, récidive ou de passage à l’acte ; TF 1B_142/2023 du 19.4.2023, c. 3.2) (c. 3.6). 

La nouvelle teneur de l’art. 236 CPP rend obsolète cette jurisprudence. En effet, dès lors que la direction de la procédure a accordé l’exécution anticipée, cela signifie qu’elle a considéré que le but de la détention provisoire ou pour des motifs de sûreté ne s’y opposait pas. Il n’y a donc pas de raison qu’elle soit également compétente pour statuer sur les demandes d’allègement à l’exécution. Les autorités cantonales d’exécution disposent des connaissances spécialisées et de l’expérience nécessaires dans ce domaine. Partant, la décision d’assouplir l’exécution anticipée des peines et mesures appartient désormais aux autorités d’exécution, conformément aux dispositions cantonales. La direction de la procédure, qui peut être invitée à prendre position avant qu’une décision ne soit prise, transmet aux autorités d’exécution toutes les informations pertinentes afin que celles-ci puissent statuer, notamment sur le risque de fuite, de récidive ou de passage à l’acte. La direction de la procédure reste compétente pour remettre le prévenu en détention provisoire ou pour des motifs de sûreté, si les conditions de l’art. 236 CPP ne sont plus remplies, par exemple si un risque de collusion est apparu (c. 3.7).

Il résulte de ces éléments que c’est à bon droit que l’Obergericht zurichois a décliné sa compétence. Le service de probation et d’exécution des peines devra toutefois inviter ce dernier, en tant que direction de la procédure, à prendre position sur la demande d’allègement sous forme de congé avant de rendre sa décision, étant donné que le recourant est placé sous le régime de l’exécution anticipée depuis le 28 juin 2022, date antérieure à la révision de l’art. 236 CPP (c. 3.8).

Partant, le TF rejette le recours de A (c. 4).

Proposition de citation : Frédéric Lazeyras, La compétence pour accorder des allégements à l’exécution anticipée des peines et mesures revient aux autorités cantonales d’exécution, in : https://www.crimen.ch/324/ du 24 mars 2025