Provocation policière ou maintien du contact avec la personne soupçonnée : où se situe la limite ? 

En matière d’actes d’ordre sexuel avec des enfants, l’agent de police qui œuvre dans le cadre d’une recherche préventive secrète peut relancer une conversation par chat sans que cela relève de la provocation policière. Le fait que l’agent de police ait demandé à la personne ayant publié une annonce à caractère sexuel si elle « cherche encore quelqu'un » est une manière de maintenir le contact et non pas une incitation à commettre une infraction.

I. En fait 

A, sous le nom de « Daddy cherche Jeune Homme », a publié le 10 mars 2021 l’annonce suivante : « Quarantenaire je cherche un fiston obéissant, soumis, qui souhaite passer de bons moments sous la couette avec son papounet. Pas de crad, pas de violence, mais respect et hygiène ». C, un agent de police œuvrant dans le cadre d’une recherche préventive secrète, a répondu à son annonce. Dans le cadre des échanges entre les deux, C a notamment indiqué à A qu’il avait 14 ans et l’a informé de son inexpérience sexuelle ; A a fixé avec C un rendez-vous le lundi 29 mars 2021 dans un hôtel. Ce jour-là, A s’est rendu sur le parking du lieu de rendez-vous et a été interpellé par la police. 

Par jugement du 13 septembre 2023, le Juge de police de la Glâne a reconnu A coupable, en particulier, de tentative d’actes d’ordre sexuel avec des enfants (art. 187 CP). Saisie par le condamné, la Cour d’appel du Tribunal cantonal fribourgeois a rejeté l’appel de A et confirmé le jugement de première instance. Par acte du 14 juin 2024, A recourt en matière pénale au Tribunal fédéral (TF) et conclut, principalement, à son acquittement.

II. En droit

Selon l’art. 298b al. 1 CPP, le ministère public et, pendant l’investigation policière, la police peuvent ordonner des recherches secrètes si des soupçons laissent présumer qu’un crime ou un délit a été commis (let. a) et si les mesures d’investigation prises ou les actes d’instruction accomplis jusqu’alors n’ont pas abouti ou si l’investigation, à défaut de recherches secrètes, n’aurait aucune chance d’aboutir ou serait excessivement difficile (let. b). Selon l’art. 33b al. 1 de la loi fribourgeoise sur la police cantonale du 15 novembre 1990 (LPol), la police cantonale peut, par décision d’un officier de service, mener des recherches préventives secrètes afin d’empêcher la commission de crimes ou de délits, si elle dispose d’indices sérieux laissant présumer qu’un crime ou un délit pourrait être commis (let. a) et que d’autres mesures de recherche d’informations paraissent vouées à l’échec ou sont excessivement difficiles (let. b) (c. 2.1). 

En ce qui concerne les arguments du recourant qui tendent à démontrer l’application arbitraire de l’art. 33b al. 1 LPol, notre Haute Cour considère que les développements du recourant sont appellatoires et donc irrecevables (c. 2.3).

Ensuite, le TF rappelle sa jurisprudence en matière de recherches policières secrètes (ATF 143 IV 27, c. 4.1.3). Dans le cas d’espèce, les juges fédéraux considèrent que les conditions pour effectuer des recherches policières secrètes sont remplies en ce qui concerne l’application de l’art. 33b al. 1 LPol en lien avec l’art. 298b al. 1 CPP. Notre Haute Cour arrive à la conclusion que la recherche secrète était licite puisqu’elle reposait sur une base légale cantonale et qu’elle respectait le principe de proportionnalité (c. 2.4). 

Le recourant reproche ensuite à l’autorité précédente d’avoir violé l’art. 293 CPP et l’art. 298c CPP en écartant de manière insoutenable son allégation selon laquelle il aurait été provoqué par l’agent communiquant sous le nom de C. En particulier, le recourant soutient qu’il a arrêté l’envoi de tout message après le 10 mars 2021 à 01h32 et que c’est l’agent qui l’a relancé le 15 mars 2021. L’autorité précédente aurait arbitrairement écarté cette circonstance en raison du fait que le recourant ignorait l’âge de l’interlocuteur le 15 mars 2021 (c. 3). 

En vertu de l’art. 293 al. 1 CPP, il est interdit à un agent infiltré d’encourager un tiers à commettre des infractions ou de l’inciter à en commettre de plus graves. L’intervention doit se limiter à la concrétisation d’une décision existante de passer à l’acte. Selon la jurisprudence de la CourEDH, la provocation policière est réalisée lorsque les agents impliqués ne se limitent pas à examiner de manière purement passive l’activité délictueuse, mais exercent sur la personne une influence de nature à inciter à commettre une infraction qu’autrement elle n’aurait pas commise pour en rendre possible la constatation. En particulier, dans la jurisprudence développée en matière de stupéfiants, aux fins de différencier une infiltration légitime par la police d’une provocation à commettre une infraction, la CourEDH analyse si le requérant a été soumis à des pressions destinées à le pousser à commettre l’infraction en cause. Dans ce cadre, la CourEDH a conclu que l’abandon d’une attitude passive de la part des autorités d’enquête était associé à des comportements tels que la prise d’initiatives destinées à établir le contact avec le requérant, le renouvellement de l’offre malgré le refus initial de l’intéressé, l’insistance, ou, plus spécifiquement en matière de stupéfiants, l’augmentation du prix au-delà de la moyenne ou la mention de problèmes de manque visant à susciter la compassion du requérant (Affaire Akbay et autres c. Allemagne, § 116 et les références citées) (c. 3.2).

In casu, notre Haute Cour souligne que la situation est différente de celle dans laquelle l’agent se dissimule, attend d’être joint sur un site de conversation, et prend l’initiative. C’est l’annonce publiée par le recourant et l’ambiguïté des termes (« daddy », « fiston », « papounet ») qui a attiré l’attention de la police et conduit celle-ci à entrer en contact avec le recourant. Certes, la rédaction n’exclut pas que son auteur ait pu se satisfaire d’un jeu de rôle, mais elle pouvait, sans sollicitation excessive, soutenir l’éventualité très concrète que l’auteur cherchait effectivement le contact avec de jeunes hommes de moins de 16 ans. Ainsi, selon le TF, il n’y avait rien d’insoutenable à considérer que ces termes constituaient un indice objectif que l’auteur de l’annonce était prédisposé à commettre des actes sexuels ou d’ordre sexuel avec des mineurs, sans que l’on puisse exclure, au moment de la parution de l’annonce, qu’il avait déjà obtenu des réponses d’autres mineurs (c. 3.2.2). 

Les juges fédéraux soulignent, en outre, qu’on ne saurait voir dans la demande de C « Salut tu cherches encore qqn ? », du 15 mars 2021, une provocation. En effet, ce message n’excédait pas ce qui était nécessaire pour maintenir le contact, à un moment où la question de l’âge n’avait pas encore été abordée. Certes, dans la suite des échanges du 15 mars 2021, c’est C qui a abordé la question de l’âge (« Tas une limite d’âge ? ») en révélant ensuite avoir 14 ans, mais on ne saurait voir une provocation dans cette révélation. En effet, cette dernière était essentielle à la recherche secrète et n’allait pas au-delà de ce que révèle un agent qui se dissimule sous un profil adolescent et attend d’être contacté. De plus, selon le TF, on perçoit certes une certaine réticence du recourant (« Tu le sais, vu ton âge, je peux finir en tôle s’il se passe quoique ce soit de sexuel entre nous avant tes 16 ans. Qui me dit que tu n’es pas un flic qui se fait passer pour un ado ? »), mais cela ne manifeste pas une intention de mettre un terme à l’échange. Au contraire, il s’agit, selon la Haute Cour, de relancer la conversation sur les motivations de C (« Il y a quelques jours, tu n’avais pas donné suite après mes réponses. Pourquoi ce changement ? »). Dans la réponse de C, « Pour tout te dire je ss pas moi-même ce que je cherche… je me questionne justement », ne transparaît ni insistance ni pression. C’est alors en toute connaissance de l’âge de C que le recourant a surmonté seul ses propres réticences. Enfin, bien que le recourant ait interrompu la conversation le 16 mars 2021 à 13h19 (« C’est ton âge qui est le problème d’où cette technique Bonne suite »), c’est en réponse aux velléités d’en faire de même manifestées par C (« Je voyais pas un truc au temps prise de tete… Je crois on va laisser tombé Un conseil si tu vx choper il faudra revoir ta technique Bonne chance avec ton annonce »). L’interruption de la conversation par le recourant ne manifestait ainsi pas son refus de commettre l’infraction, mais son désir de chercher une solution lui permettant d’écarter le risque d’un faux profil. Cela ressort de son message du 16 mars 2021 à 07h56 (« Afin d’être sûr que tu n’es pas un fake, j’aimerais savoir si C est ton vrai nom et si tu es bien de V. Je ne veux pas te harceler ou autre tkt. C’est juste pour voir que tu es bien qui tu dis être »). La reprise du dialogue le lendemain par C apparaît ainsi moins comme une instigation que comme moyen de maintenir le contact avec le recourant (« Oui je ss a mon âge ce que je cherche c’est de me faire de l’expérience, mais g l’impression que tu demande plus que ca ») (c. 3.2.3). 

Le TF conclut, enfin, qu’on ne discerne pas d’éléments suggérant une provocation dans la suite des échanges et qu’il est ainsi établi que l’intervention de C n’a pas été au-delà de ce qui était nécessaire à la concrétisation de la décision préexistante du recourant (c. 3.2.4 et 3.2.5). 

Au vu de ces considérations, le TF rejette le recours. 

Proposition de citation : Basilio Nunnari, Provocation policière ou maintien du contact avec la personne soupçonnée : où se situe la limite ? , in : https://www.crimen.ch/325/ du 8 avril 2025