L’impossibilité d’étendre l’objet d’un appel principal par le biais d’un appel joint sur appel joint

La possibilité d’étendre l’objet d’un appel principal par le biais d’un appel joint sur appel joint irait au-delà du but de l’appel joint qui, par définition, se conçoit comme une faculté à l’unique disposition de la partie intimée à l’appel principal. En outre, reconnaître la possibilité, pour un appelant principal, censé avoir choisi de façon définitive de limiter l’objet de son appel, de déposer un appel joint sur un appel joint serait également contraire au souci d’économie du procès et d’allègement de la procédure. Un tel appel est ainsi irrecevable.

I. En fait

Par jugement du 14 juillet 2023, le Tribunal de police de l’arrondissement de l’Est vaudois a reconnu coupable A de menaces, de contrainte et de violation des règles de la circulation routière, et l’a notamment condamné à une peine privative de liberté de six mois et à une amende de CHF 500.-.

Contre ce jugement, A a déposé une annonce d’appel le 27 juillet 2023 et une déclaration d’appel le 23 août 2023, tandis que les plaignants BB et CB ont déposé un appel joint le 13 septembre 2023. Ces derniers concluaient en substance à ce que A soit condamné pour différents chefs d’accusation non retenus en marge du jugement de première instance, notamment pour calomnie. A a alors déposé un acte intitulé « appel joint à l’appel joint » le 9 octobre 2023. La Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal vaudois a toutefois déclaré son appel supplémentaire irrecevable le 5 novembre 2023.

A forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre ce prononcé. Il conclut, principalement, à son annulation et à sa réforme en ce sens que l’acte déposé le 9 octobre 2023 soit déclaré recevable. Subsidiairement, il conclut à l’annulation de la décision querellée et au renvoi de la cause à l’autorité précédente.

II. En droit

À titre liminaire, le Tribunal fédéral rappelle que les mêmes conclusions d’une partie ne peuvent pas faire l’objet, parallèlement, d’un appel et d’un appel joint, et qu’après la fin du délai pour déposer un appel joint selon l’art. 400 al. 3 let. b CPP, un appel ne peut plus être valablement transformé en appel joint (ATF 147 IV 36, c. 2). Les juges fédéraux ont en revanche laissé ouverte la question de savoir si un appel joint sur appel joint est admissible (ATF 147 IV 36, c. 2.5.1). Il convient dès lors de la trancher (c. 2.2).

Pour la cour cantonale, une réponse négative s’impose. Elle se fonde ainsi sur une approche restrictive qui exclut la possibilité d’étendre l’objet d’un appel principal par le truchement d’un appel joint sur appel joint. Le recourant y oppose une approche tendant à garantir, au contraire, la possibilité de compléter, par ce biais, les conclusions de l’appel principal, en fonction des conclusions de l’appel joint (c. 3.1).

La doctrine est quant à elle divisée sur cette question Jositsch et Schmid considèrent que lorsque l’appel joint se rapporte à des points du jugement qui n’ont pas été contestés dans le cadre de l’appel principal, l’appelant principal peut à son tour interjeter un appel joint sur les points en cause (Daniel Jositsch/Niklaus SchmidHandbuch des schweizerischen Strafprozessrechts, 4e éd., Zurich, 2023, p. 722, n° 1555). Dans le même sens, Zimmerlin soutient que si l’objet de la procédure d’appel est étendu par le biais de l’appel joint, l’appelant principal doit se voir reconnaître la possibilité d’interjeter, à son tour, un appel joint (Sven Zimmerlinin : Andreas Donatsch/Viktor Lieber/Sarah Summers/Wolfgang Wohlers (éds), Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung, StPO, vol. II, 3e éd., Zurich, 2020, art. 401N 5). À l’inverse, Bähler fait valoir que la possibilité de déclarer un appel joint à la suite d’un appel joint n’est pas prévue par la loi et doit être rejetée, notamment parce que cette hypothèse n’est pas en phase avec le sens et le but de l’appel joint (BSK StPO II-Bähler, art. 401N 3) (c. 3.2).

Notre Haute Cour s’attèle donc à une interprétation de la loi. Sous l’angle d’une interprétation littérale et historique des art. 399 à 401 CPP, le Tribunal fédéral souligne, en premier lieu, la teneur de l’art. 399 al. 4 CPP, qui précise que quiconque attaque seulement certaines parties du jugement est tenu d’indiquer dans la déclaration d’appel, de manière définitive, sur quelles parties porte l’appel. La précision, dénuée d’ambiguïté, de cette disposition tend à exclure une extension ultérieure de l’objet de l’appel principal par le truchement d’un appel joint qui viendrait à être interjeté en réaction à un appel joint de la partie intimée à l’appel principal. Les juges fédéraux soulignent encore que les travaux préparatoires du CPP (FF 2006 1057, 1299), tout comme la jurisprudence (cf. not. arrêt TF 6B_48/2020 du 26.5.2020, c. 2.1), insistent sur le fait qu’une fois l’objet de l’appel fixé dans la déclaration correspondante, la portée de l’appel ne peut plus être élargie. En deuxième lieu, sous l’angle d’une interprétation systématique, si l’art. 401 CPP prévoit explicitement une application par analogie de l’art. 399 al. 3 et 4 CPP, il ne renvoie nullement à l’art. 400 al. 3 let. b CPP. La systématique des dispositions précitées plaide ainsi contre l’hypothèse d’un appel joint sur appel joint (c. 4.4.1-4.4.2).

Ensuite, sous l’angle d’une interprétation téléologique, le fait que le législateur ait prévu que la partie intimée à l’appel principal puisse former un appel joint ne permet pas de considérer qu’il aurait également eu l’intention de ménager, mutatis mutandis, la même possibilité à l’appelant principal, une fois l’appel joint interjeté. En effet, une telle solution se heurterait non seulement aux interprétations littérale, historique et systématique développées ci-dessus, mais elle irait au-delà du but de l’appel joint qui se conçoit comme une faculté à l’unique disposition de la partie intimée à l’appel principal. De plus, reconnaître la possibilité, pour un appelant principal, censé avoir choisi de façon définitive de limiter l’objet de son appel, de déposer un appel joint sur un appel joint serait également contraire au souci d’économie du procès et d’allègement de la procédure. Une telle solution serait, par ailleurs, susceptible de générer une cascade d’appels joints au gré de possibles extensions successives de l’objet de la procédure, source potentielle de complications procédurales non négligeables (c. 4.4.4).

Pour terminer, il revient à la partie qui annonce l’appel principal de choisir, au moment de déposer sa déclaration d’appel, si elle entend contester le jugement dans son ensemble ou limiter l’objet de son appel. Le Tribunal fédéral estime par conséquent qu’il ne doit pas être possible à une partie ayant choisi de limiter l’objet de son appel principal d’y revenir par la suite par le truchement d’un appel joint sur appel joint, alors même qu’elle disposait à l’origine de la faculté de contester le jugement dans son ensemble. Au vu de ce qui précède, le recours est rejeté (c. 4.4.4-5).

III. Commentaire

Saisissant l’occasion offerte par le présent arrêt pour se pencher sur la question de savoir si un appel joint sur appel joint est admissible, la solution retenue par les juges fédéraux ne prête, à notre sens, pas le flanc à la critique. Bien qu’une partie de la doctrine se fonde sur une approche tendant à garantir la possibilité d’étendre l’objet d’un appel principal par le truchement d’un appel joint sur appel joint, le Tribunal fédéral y oppose une approche restrictive et exclut une telle possibilité. Partant, les juges fédéraux se rallient à l’autre partie de la doctrine, dont Bähler, qui estime que l’appel joint ne vise pas à conférer un moyen de droit à l’appelant principal qui, en dépit de son désaccord avec certains points du jugement, n’en a pas moins renoncé à le contester dans son ensemble. En effet, pour le Tribunal fédéral, la précision de la loi relative au caractère définitif de la limitation de l’objet de l’appel principal serait vide de sens si la faculté de l’étendre par la suite était reconnue à l’appelant principal en lui réservant la possibilité de déposer à son tour un appel joint et de revenir de cette manière sur les choix effectués dans le cadre de son appel principal.

Proposition de citation : Sandy Ferreiro Panzetta, L’impossibilité d’étendre l’objet d’un appel principal par le biais d’un appel joint sur appel joint, in : https://www.crimen.ch/326/ du 15 avril 2025