I. En fait
En août 2019, A, exploitante d’un restaurant dans des locaux loués, a signé un accord portant sur la vente de son fonds de commerce avec F, potentielle acquéreuse, lors d’un rendez-vous en présence des propriétaires des lieux. À la suite d’une visite, F est revenue sur sa décision en raison d’un désaccord quant à la répartition du mobilier. L’un des propriétaires des locaux a alors déchiré le document contractuel.
Saisie d’un accès de colère, A a refusé de quitter les lieux malgré la demande des propriétaires. Elle s’est réfugiée derrière le bar pour attraper une bonbonne de gaz dans le but de bloquer la porte de sortie de l’établissement. Puis, elle s’est accroupie sur cet objet et a tenté d’en ouvrir la vanne, un briquet allumé à la main. Elle a indiqué que, puisqu’elle allait tout perdre, elle allait tout faire sauter. Deux personnes ont cependant pu l’arrêter à temps. Par la suite, A a tenté de reprendre la bonbonne de gaz, réitérant sa menace de tout faire exploser.
Le 7 novembre 2022, le Tribunal de police de l’arrondissement de la Côte a rendu un jugement, condamnant A pour tentative d’explosion. Par arrêt du 18 mars 2024 (6B_1101/2023 (f)), le Tribunal fédéral a admis le recours formé par cette dernière contre le jugement cantonal statuant sur son appel, s’agissant de sa condamnation du chef de tentative d’explosion (défaut d’examen d’un grief soulevé en appel). Il a annulé le jugement entrepris et a renvoyé la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision.
Statuant sur renvoi le 29 août 2024, le Tribunal cantonal vaudois rejette l’appel de A et modifie le dispositif du jugement de première instance, condamnant A pour crime impossible d’explosion. A forme, à nouveau, recours en matière pénale à l’encontre de ce jugement, concluant notamment à son acquittement du chef de crime impossible d’explosion.
II. En droit
A est d’avis qu’une tentative d’explosion au sens des art. 223 ch. 1 cum 22 al. 1 CP ne peut être retenue, puisque l’explosion est une condition objective de punissabilité et non un élément constitutif objectif de cette infraction. Or la bonbonne de gaz n’a pas explosé en l’espèce, ce qui exclut toute forme de tentative (c. 1).
Le Tribunal fédéral rappelle que la condition objective de punissabilité n’est ni un élément constitutif objectif, ni un élément constitutif subjectif. Elle restreint les poursuites pénales aux cas où un résultat dommageable s’est réellement produit, dressant ainsi une limite, au-dessous de laquelle un comportement illicite et fautif n’est pas assez grave pour être puni. La condamnation de la personne intéressée dépend de la réalisation de conditions qui sont indépendantes de sa volonté et de toute contribution de sa part (TF 6B_101/2014 du 10.11.2014, c. 2.2 et les références citées) (c. 1.1.3).
Les juges de Mon-Repos indiquent d’emblée ne pas partager l’avis de la recourante. La provocation de l’explosion est un élément constitutif objectif de l’infraction. Subjectivement, l’intention doit précisément porter sur l’explosion. La survenance d’une explosion ne constitue donc pas une condition objective de punissabilité. Le Tribunal fédéral se rallie à la doctrine et affirme qu’une tentative d’explosion peut être retenue lorsque l’explosion ne se produit pas (BSK StGB II-Roelli, art. 223 N 5 ; Commentaire du code pénal suisse, partie spéciale II-Logoz, art. 223 N 3 ; Philipp Thormann/Alfred Von Overbeck, Das Schweizerische Strafgesetzbuch, vol. II, Zurich 1941, art. 223 CP N 6). L’interprétation historique conduit à la même solution, puisque rien ne permet de retenir que le législateur ait souhaité limiter les poursuites pénales aux cas où une explosion se serait effectivement produite (cf. notamment FF 1918 IV 1, 52). En outre, le Tribunal fédéral rejette l’argument tiré de l’art. 223 ch. 1 al. 2 CP, qui atténue la peine en cas de dommage de peu d’importance. Cette norme relève en effet de la mesure de la peine et non de la punissabilité, si bien qu’elle ne saurait faire obstacle à la tentative (cf. en ce sens ATF 123 IV 128, c. 2b, s’agissant du cas aggravé d’incendie intentionnel). Dès lors que la survenance de l’explosion est un élément constitutif objectif, cette infraction peut être retenue au stade de la tentative (art. 22 al. 1 CP) (c. 1. 2).
Notre Haute Cour s’attèle donc à la question de savoir si A pouvait être reconnue coupable de tentative d’explosion, respectivement de crime impossible d’explosion (art. 223 ch. 1 cum 22 al. 1 CP) dans le cas d’espèce. À retenir le crime impossible, la recourante reproche à la cour cantonale de ne pas lui avoir laissé l’occasion de se prévaloir de l’art. 22 al. 2 CP, qui s’applique en cas de grave défaut d’intelligence, en violation de ses droits de procédure (c. 2).
Le Tribunal fédéral considère, contrairement à l’avis de l’instance précédente, que la consommation de l’infraction n’était pas manifestement impossible. La provocation d’une explosion était en lien avec la quantité de gaz libéré avant l’apport d’une flamme. D’autre part, des personnes présentes sur place se sont précipitées sur A pour la maîtriser. Ainsi, le moyen utilisé ne saurait être considéré comme d’emblée impropre à provoquer une explosion qui aurait mis en danger l’intégrité corporelle des personnes et la propriété d’autrui. L’infraction d’explosion n’était donc pas absolument impossible au sens de l’art. 22 al. 2 CP. Les griefs que soulève A en lien avec cette dernière disposition, limités à la tentative sous forme de délit ou crime impossible, sont sans objet. Cela étant, en tentant d’ouvrir la vanne de la bonbonne de gaz, tout en tenant un briquet allumé devant, A a accompli l’une des démarches ultimes et décisives vers la consommation de l’infraction. Ses actes sont, qui plus est, dans une proximité spatio-temporelle avec la réalisation de l’infraction d’explosion. La tentative d’explosion au sens des art. 223 ch. 1 cum 22 al. 1 CP doit donc être retenue. Toutefois, le Tribunal fédéral précise que A n’a pas d’intérêt juridique à l’annulation du jugement attaqué, puisqu’elle ne conteste pas la peine en lien avec le degré de réalisation de l’infraction. Le fait que le dispositif condamne cette dernière pour crime impossible d’explosion au lieu de tentative d’explosion au sens de la même disposition n’a aucune incidence sur le sort de la cause, puisque la faculté du juge d’atténuer la peine est identique (c. 2.3).
Au vu de ce qui précède, le Tribunal fédéral rejette le recours de A (c. 4).
III. Commentaire
La solution retenue par les juges fédéraux est une précision bienvenue pour l’infraction d’explosion au sens de l’art. 223 CP. Dans la mesure où l’absence d’une condition objective de punissabilité, au moment de l’acte reproché, rend inapplicable la disposition pénale, la solution contraire reviendrait à restreindre la punissabilité d’un certain nombre de comportements, de manière contraire à l’interprétation (historique) de la norme pénale.
S’agissant du délit impossible, l’appréciation du Tribunal fédéral ne prête, à notre sens, pas non plus le flanc à la critique. L’impossibilité a été appréciée ex ante, donc en amont de la réalisation du résultat, et in concreto, afin de déterminer si le moyen utilisé était propre à consommer l’infraction dans les circonstances d’espèce, sur la base d’un rapport d’expertise. À juste titre, le Tribunal fédéral a relevé que l’utilisation de la bonbonne semble appropriée pour provoquer une explosion, laquelle serait vraisemblablement survenue sans l’intervention de tiers, en fonction de la quantité de gaz libérée.