L’intérêt juridique à recourir contre une décision refusant le report d’une expulsion pénale au sens de l’art. 66d CP

Dès lors qu’elle vise la mise en œuvre d’une expulsion rendue dans un jugement entré en force, la décision d’exécution de celle-ci ne peut être contestée que de manière très limitée. D’après le Tribunal fédéral, seule une profonde évolution de la situation personnelle de la personne à expulser intervenue entre le jugement d’expulsion et sa décision d’exécution peut fonder un intérêt juridique à recourir. Un tel intérêt ne saurait a priori être exclu en raison du fait qu’il appartenait déjà au juge de l’expulsion d’examiner les conditions s’opposant à un renvoi.

En décembre 2018, A, un ressortissant tunisien, a été jugé coupable de diverses infractions susceptibles d’entraîner une expulsion pénale. Une fois définitif et exécutoire, le jugement rendu par le Tribunal correctionnel du canton de Genève imposait, en sus des peines et amendes infligées à A, une expulsion du territoire suisse pour une durée de 5 ans. Alors que celle-ci devenait imminente, A a requis le report de son expulsion (art. 66d CP). Ce report a été refusé par l’Office cantonal genevois de la population et des migrations (OCPM). Finalement, en mars 2021, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice du canton de Genève a rejeté le recours de A contestant le refus de l’OPCM de reporter l’expulsion. La Cour cantonale a estimé que les liens de A avec ses enfants en Suisse – qui avaient été examinés lors du jugement prononçant l’expulsion – n’étaient pas suffisamment intenses pour faire obstacle à son renvoi et qu’un réexamen de cette situation ne pouvait se faire au détour d’une contestation de l’exécution de l’expulsion. De plus, selon elle, le renvoi en Tunisie n’exposait pas A à des persécutions ou des traitements inhumains, ni à un grave danger provenant de conflits familiaux ou dû à la situation sanitaire locale. 

Saisi d’un recours en matière pénale, le Tribunal fédéral examine longuement et principalement la recevabilité du recours de A et son intérêt juridique à contester la décision d’exécution de l’expulsion. Dans un premier temps, le Tribunal fédéral rappelle que l’exécution d’un jugement ne peut être différée que dans des circonstances « tout à fait exceptionnelles » (c. 1.2). La simple possibilité d’exposer le requérant à un danger pour sa vie ne suffit pas. Il faut, au contraire, que l’exécution de la mesure mette concrètement en danger sa vie ou qu’elle emporte la violation de l’interdiction des traitements inhumains et dégradants. À ce titre, l’art. 66d CP représente l’ultime sursis à l’exécution d’une expulsion pour des motifs impérieux.

Dans un second temps, les juges fédéraux expliquent que les moyens pour contester une décision relative à l’exécution d’un jugement entré en force sont extrêmement limités (c. 1.4 à 1.4.2). Un intérêt à recourir pourra notamment être reconnu lorsqu’une telle décision règle une question nouvelle ou qu’elle crée une nouvelle atteinte à la situation juridique de la personne concernée (c. 1.4.1). Cela signifie concrètement que si la décision d’exécution se borne à reprendre les obligations découlant du jugement entré en force, l’acte en question doit être qualifié de mesure d’exécution non sujette à recours (c. 1.4.3). En définitive, si la décision d’exécution d’un jugement ne traite aucune question nouvelle, ne crée aucune atteinte nouvelle à la situation de l’intéressée, qu’elle concerne un jugement qui ne viole pas un droit fondamental inaliénable et que ce jugement n’apparaît pas nul, le recours contre la décision d’exécution est inenvisageable. Le Tribunal fédéral estime donc qu’il n’existe aucune raison de s’écarter de ces principes concernant le recours contre une décision d’exécution d’une expulsion au sens de l’art. 66d CP (c. 1.4.4). 

Le Tribunal fédéral précise ensuite qu’il appartient déjà au juge de l’expulsion d’examiner – au moment du prononcé – s’il n’existe pas de motifs empêchant l’expulsion selon l’art. 66a al. 2 CP, tel que le respect du principe de non-refoulement ou d’une règle impérative de droit international (c. 1.4.5). Cela signifie donc que les contestations sur ces questions ne peuvent en principe plus être portées devant l’autorité menant la procédure d’exécution de l’expulsion, c’est-à-dire dans le cadre d’une demande de report de celle-ci (c. 1.4.6). 

Il convient toutefois d’apporter une nuance à ce constat. Comme le relève le Tribunal fédéral, l’appréciation complète et définitive des circonstances est établie par le juge de l’expulsion. Cette appréciation est donc encore valable lors de la décision d’exécution du jugement pour autant que la situation présente une certaine stabilité entre les deux prononcés (c. 1.4.7). Ainsi, d’après lui, « [l]e fait que la proportionnalité de [l’expulsion] a déjà été examinée au stade de son prononcé ne dispense, par exemple, pas les autorités chargées de l’exécution du renvoi de vérifier que l’intéressé remplit toujours les conditions propres à son retour sur le plan médical ». Or de nombreux facteurs (santé, situation familiale ou politique dans l’État de destination, etc.) peuvent évoluer de façon déterminante lorsqu’un laps de temps important s’écoule entre le jugement d’expulsion et la décision d’exécution (c. 1.4.7). Par conséquent, on ne saurait exclure a priori tout intérêt juridique à contester la décision d’exécution de l’expulsion de la personne concernée. Néanmoins, le simple écoulement du temps n’implique pas per se d’emblée qu’un tel intérêt doive lui être reconnu (c. 1.4.8). 

En outre, dans ce genre de cas, l’intérêt au recours constitue une question de double pertinence puisqu’elle ne peut être tranchée séparément de la question de fond. Ce faisant, il revient donc à la personne concernée de démontrer précisément un tel intérêt, c’est-à-dire que la situation a évolué « si profondément […] qu’il s’imposerait exceptionnellement de reconnaître l’existence de considérations humanitaires impérieuses exigeant désormais de renoncer à exécuter l’expulsion » (c. 1.4.8). Les allégués de la personne à expulser doivent rendre vraisemblable – au moins prima facie – une telle modification et ne peuvent se réduire à l’exposé d’un changement isolé.

En fin de compte, le Tribunal fédéral, après avoir rapidement balayé les deux premiers griefs de A (c. 2 à 4.2), reproche à la cour cantonale la brièveté de sa motivation quant à son refus de réexaminer les relations familiales de A avec ses enfants, malgré deux ans écoulés depuis le prononcé d’expulsion (c. 5 à 5.1). Nonobstant l’entrée en matière sur ce dernier aspect, les juges fédéraux rejettent le recours puisqu’ils estiment que l’évolution de cette relation ne constitue pas un bouleversement tel qu’il aurait fallu renoncer à l’expulsion ou aurait nécessité une nouvelle instruction sur dite relation avec les enfants (c. 5.2). Le recours est en définitive rejeté.

Dans son arrêt, le Tribunal fédéral semble offrir une interprétation plus large des motifs permettant de surseoir à une expulsion que ce que le texte de l’art. 66d CP prévoit. En effet, la disposition paraissait se limiter au principe de non-refoulement et au droit international impératif. Bien qu’il ressorte des travaux parlementaires que d’autres motifs pourraient entrer en ligne de compte pour reporter une expulsion (cf. : FF 2013 5373, 5394 s. ; voir également : CR CP I-Perrier Depeursinge/Monod, art. 66a N 27), la décision du Tribunal fédéral devra être confirmée pour préciser les effets de cette ouverture, à notre sens, bienvenue.

Proposition de citation : Hadrien Monod, L’intérêt juridique à recourir contre une décision refusant le report d’une expulsion pénale au sens de l’art. 66d CP, in : https://www.crimen.ch/39/ du 30 septembre 2021