Le secret professionnel des avocats extra-communautaires

L’art. 264 al. 1 let. d CPP dispose que ne peuvent être séquestrés par les autorités pénales « les objets et les documents concernant des contacts entre une autre personne et son avocat, si celui-ci est autorisé à pratiquer la représentation en justice en vertu de la loi du 23 juin 2000 sur les avocats et n’a pas le statut de prévenu dans la même affaire ». Le lettre de la loi indique que cette exception à la saisissabilité des documents est réservée aux avocats titulaires d'un brevet suisse inscrits à un registre cantonal, ainsi qu’aux avocats UE/AELE auxquels la LLCA est applicable en vertu des accords passés par la Suisse. Le Tribunal fédéral a refusé de l’étendre, par voie d’interprétation, aux avocats extra-communautaires, au motif que, même si on devait considérer que ces derniers sont soumis à l'art. 321 CP (question laissée ouverte), ils n’entrent clairement pas dans le champ d'application de l’art. 264 CPP.

Le 22 juin 2021, le Tribunal fédéral a rendu un important arrêt sur une question qu’il n’avait encore jamais eu l’occasion d’aborder, celle du secret professionnel de l’avocat extra-communautaire et de son opposabilité aux autorités pénales voulant séquestrer des documents couverts par un tel secret. Cette décision a suscité passablement de déception pour les avocats qui sont actifs dans des affaires internationales, affaires qui les amènent à travailler pour des clients en contact direct avec des avocats hors UE/AELE. Il est donc intéressant de s’y arrêter quelques instants.

Ainsi que le Tribunal fédéral le rappelle, le secret professionnel est visé tant par l’art. 13 LLCA que par l’art. 321 CP dont le seul objet consiste à en réprimer la violation. Du fait que la première de ces dispositions n’est entrée en vigueur qu’au moment de la promulgation de la LLCA en 2002, la seconde fut la seule norme qui régit le secret professionnel pendant des décennies, même si, à rigueur de texte, elle n’avait qu’une portée répressive. Il en est résulté une situation relativement incertaine, la jurisprudence s’efforçant de tracer la portée procédurale du secret de l’avocat, en ne pouvant se fonder que sur une norme répressive1. La situation s’est évidemment améliorée avec l’entrée en vigueur de la LLCA. Cependant, comme on va le voir, cette dualité de normes édictées à des époques et dans des buts différents complique quelque peu le débat.

Il faut se souvenir que les accords passés entre la Suisse et l’UE et l’AELE ont eu pour résultat que la LLCA a été complétée par les sections 4, 5 et 6, destinées à régir le statut des avocats ressortissants de l’une ou l’autre de ces union ou association. En résumé, ces avocats jouissent de droits similaires à ceux des avocats titulaires d’un brevet suisse et inscrits à un registre cantonal2. Il en découle que, lorsque la loi mentionne un avocat « autorisé à pratiquer la représentation en justice en vertu de la loi du 23 juin 2000 sur les avocats » (par ex. l’art. 264 al. 1 let. d CPP), il faut comprendre qu’elle englobe tant les avocats titulaires d’un brevet suisse et inscrits au registre que les avocats UE/AELE. C’est donc dire que les avocats ressortissants UE/AELE disposent d’un secret égal à celui dont bénéficient les avocats suisses.

La situation se complique quelque peu en raison du fait qu’il est majoritairement admis que l’art. 321 CP, qui réprime la divulgation d’un secret professionnel, s’applique non seulement aux avocats suisses ou ressortissants UE/AELE, mais plus généralement à tout avocat, indépendamment de sa nationalité et du lieu où il est autorisé à pratiquer3. C’est l’approche qu’avait retenue Corboz dès 19934. Si elle a ensuite été très largement reprise par la doctrine, le Tribunal fédéral n’a jamais eu l’occasion de confirmer cette solution. Il l’a d’ailleurs expressément laissée irrésolue dans l’arrêt présentement analysé (c. 2.9 1er par.). La tentation est grande de considérer que, vu que les avocats extra-communautaires seraient soumis à l’art. 321 CP, ils seraient alors également au bénéfice des droits procéduraux permettant aux avocats de refuser de collaborer avec les autorités, dès que des informations couvertes par le secret sont en jeu.

Pour la question qui a donné matière à l’arrêt présentement commenté, la situation était assez claire. En effet, l’art. 264 al. 1 let. d CPP – qui régissait la situation à juger – dispose que ne peuvent être séquestrés que « les objets et les documents concernant des contacts entre une autre personne et son avocat, si celui-ci est autorisé à pratiquer la représentation en justice en vertu de la loi du 23 juin 2000 sur les avocats et n’a pas le statut de prévenu dans la même affaire ». Contrairement aux recourants qui proposaient de s’écarter du texte légal, le Tribunal fédéral s’en est tenu à ce dernier. Seuls des avocats titulaires d’un brevet suisse et inscrit à un registre ou des avocat UE/AELE entrent dans le champ d’application de la norme.

Les motifs qu’il avance à l’appui de son analyse sont convaincants.

Premièrement, le texte est très récent (2012) et a été établi précisément dans le cadre de l’harmonisation des dispositions de procédure. Si l’interprétation historique ne s’impose pas comme étant préférable à toute autre, elle ne doit pas être négligée lorsque le texte ne date que de quelques années, alors que la volonté du législateur est aisément identifiable.

Deuxièmement, le secret de l’avocat bénéficie d’un statut particulier en droit suisse du fait que l’art. 13 al. 1 2e phr. LLCA dispose que « le fait d’être délié du secret professionnel n’oblige pas l’avocat à divulguer des faits qui lui ont été confiés ». Ainsi, contrairement aux médecins ou aux notaires par exemple, l’avocat dispose de la faculté de refuser de témoigner en toutes circonstances, sauf s’il est lui-même prévenu. Cette prérogative n’a pas été accordée sans de vifs débats parlementaires5, que ce soit au moment de l’adoption de la LLCA qu’à celui où le CPC et le CPP furent discutés, d’aucuns ne discernant pas les motifs qui auraient justifié l’octroi d’une telle prérogative aux avocats6. Si cette dernière leur a finalement été accordée, c’est essentiellement en raison du rôle particulier que l’avocat joue dans le système judiciaire en tant qu’auxiliaire de la justice et garant de l’accès au droit. De surcroît, la surveillance étatique à laquelle il est soumis n’est pas étrangère à la confiance qui lui est ainsi accordée. 

En conséquence, on voit difficilement comment une autorité judiciaire pourrait étendre l’application du texte légal au-delà de sa lettre non ambiguë. À cet égard, le Tribunal fédéral relève à juste titre que la notion d’avocat revêt des contours variables selon les pays, notamment en fonction des exigences de formation, de pratique, d’indépendance et de surveillance qui y sont retenues (c. 2.9 2e par.). En conclusion, autant on doit admettre que la protection du secret s’étend aux avocats ressortissants de l’UE/AELE, puisque cela résulte d’accords passés entre États qui s’imposent aux tribunaux, autant il semble problématique d’étendre cette prérogative exceptionnelle à tous les avocats du monde, laissant le soin aux autorités judiciaires de trier le bon grain de l’ivraie. 

La solution est certainement décevante pour nombre d’avocats suisses travaillant avec des avocats hors de l’UE et de l’AELE. Si leur propre correspondance avec ces derniers est certes protégée, il n’en va pas de même de celle que ces avocats étrangers auraient entretenue avec des tiers domiciliés en Suisse. De longue date, le Tribunal fédéral a relevé que le secret, conféré à un certain nombre de professions, dont les avocats, est susceptible de compliquer la recherche de la vérité, mais qu’il s’agit d’un inconvénient qui doit être accepté dans un État de droit. La tension qui existe entre la nécessité d’une justice pénale efficace – garante de la sécurité des citoyens – d’une part et celle d’une protection forte du secret de l’avocat – garant de la liberté personnelle du citoyen – d’autre part est inhérente au système d’un État de droit démocratique7. Trouver un équilibre entre ces deux composantes contradictoires du système judiciaire est une tâche qui relève incontestablement d’une démarche législative et non du droit prétorien. 

  1. Pour une présentation de cette problématique, Benoît Chappuis, Trois décennies d’évolution du secret de l’avocat, in : Grégory Bovey/Benoît Chappuis/Laurent Hirsch (éds), Mélanges à la mémoire du juge fédéral Bernard Corboz, Genève/Zurich/Bâle 2019, 449 ss.↩︎
  2. Pour une présentation détaillée de la question, cf. : Benoît Chappuis/Jérome Gurtner, La profession d’avocat, Genève/Zurich/Bâle 2021, N 43 ss et N 701 ss.↩︎
  3. Chappuis/Gurtner, N 696-705.↩︎
  4. Bernard Corboz, Le secret professionnel de l’avocat selon l’art. 321 CP, SJ 1993, 77, 82. Pour une présentation actualisée de cette publication, cf. : Chappuis (n. 1).↩︎
  5. Chappuis (n. 1), N 45.↩︎
  6. Pour une présentation succincte des débats parlementaires, cf. : Benoît Chappuis, Les droits des tiers dans la procédure de levée du secret : l’ATF 142 II 256, Revue de l’avocat 2018, 504, 509 s.↩︎
  7. Chappuis (n. 1), N 28.↩︎

Proposition de citation : Benoît Chappuis, Le secret professionnel des avocats extra-communautaires, in : https://www.crimen.ch/29/ du 24 août 2021