Remise d’une personne par la police suisse à un État étranger en violation manifeste des règles de l’extradition : aucune conséquence

La remise d’une personne par la police suisse aux autorités allemandes, en violation de toutes les règles procédurales en matière d’extradition (compétence de l’OFJ, droit d’être entendu de la personne, analyse des conditions de l’extradition, décision sujette à un double degré de recours) n’emporte aucune conséquence.

I. En fait 

Le 24 décembre 2020 peu avant 22 heures, A se soustrait à un contrôle routier de la police bernoise (KAPO). Il est appréhendé et arrêté quelque temps plus tard. Le lendemain, la KAPO l’amène en Allemagne et le remet aux autorités allemandes. A était recherché depuis la veille par les autorités allemandes, sur la base d’un mandat d’arrêt international, qui lui reprochaient d’avoir bouté le feu à son appartement le 24 décembre vers 20 heures.

Le 25 janvier 2021, en se référant à cette remise, le Ministerium der Justiz und für Europa Baden-Württembergs demande à l’Office fédéral de la justice (OFJ) de lui transmettre la décision autorisant l’extradition de A. L’OFJ sollicite une prise de position de la KAPO, qui déclare regretter la situation et l’explique par un problème de communication.

Le 21 mai 2021, le Ministerium der Justiz und für Europa Baden-Württembergs demande à l’OFJ d’autoriser a posteriori l’extradition de A vers l’Allemagne. Entendu à ce propos à la demande de l’OFJ, A indique qu’il ne donne pas son consentement. Le 23 juin 2021, l’OFJ rend une décision selon laquelle « [e]s liegen keine Gründe für eine Ablehnung der Auslieferung des Verfolgten an Deutschland gemäss dem Auslieferungsersuchen des Ministeriums für Justiz und für Europa vom 21. Mai 2021 vor » (Faits, E.). A recourt devant le Tribunal pénal fédéral (TPF) contre cette décision et demande que la remise soit déclarée illégale et que la décision constatant que les conditions sont remplies soit annulée.

II. En droit 

Le TPF expose tout d’abord que la contestation porte sur une décision en constatation, puisque la remise du recourant aux autorités allemandes par la KAPO constituait un acte matériel (Realakt), à savoir un acte informel qui ne résulte pas d’une procédure juridiquement réglementée. Les actes matériels doivent être conformes au droit et être entrepris par l’autorité, fédérale (art. 1 al. 1 PA), compétente (cf. art. 25a PA ; c. 3.2.1). Le TPF laisse ouverte la question de savoir si l’art. 25a PA s’applique dans le cas d’espèce, dans lequel une autorité cantonale a exécuté l’extradition du recourant par un acte matériel à la place de l’autorité compétente (OFJ) et constate que le droit à la protection juridique contre les actes matériels découle également directement des garanties procédurales de droits constitutionnel et international public (notamment art. 6 et 13 CEDH) (c. 3.2.3).

Le TPF explique ensuite les fondements de l’institution de l’extradition et les bases légales applicables en Suisse (c. 5), en indiquant en particulier que l’extradition ne doit pas seulement tenir compte des intérêts des États impliqués, mais aussi des droits individuels de la personne poursuivie (c. 5.4). Sur la base des faits présentés, il constate qu’il est « offensichtlich » que la manière de procéder de la KAPO était illégale : l’extradition du recourant a été exécutée de facto sans que l’autorité compétente ait été impliquée d’une quelconque manière ni que le recourant se soit vu accorder les droits procéduraux qui lui reviennent dans la procédure d’extradition. Si l’objet du recours avait été une décision au sens de l’art. 5 PA, elle aurait dû être annulée en raison des vices graves (« gravierende Mängel ») qui l’affectent. Néanmoins, puisque la remise du recourant a, comme exposé auparavant (c. 3.2.1), pris la forme d’un acte matériel, la simple constatation de son illicéité au sens de l’art. 25a al. 1 let. c PA suffit (c. 6).

Le TPF termine son raisonnement par une analogie avec sa jurisprudence établie en entraide au sens strict, relative à la transmission de moyens de preuve (TPF 2016 65, c. 7.2), dont il ressort que les défauts rencontrés dans la procédure suisse, en particulier une remise de pièces ne respectant pas les étapes de la procédure de l’entraide, peuvent être réparés si les conditions à l’octroi de l’entraide sont remplies (c. 7). Tel étant le cas en l’espèce, le TPF décide que le dispositif de la décision de l’OFJ du 23 juin 2021 doit être complété uniquement en ce sens qu’il est constaté que la remise du recourant aux autorités allemandes effectuée par la KAPO le 25 décembre 2020 a violé les dispositions du droit formel de l’extradition et était donc illégale. Pour le reste, le recours est rejeté et la décision confirmée (c. 8 et 9).

En raison desdits défauts, il est exceptionnellement renoncé à mettre les frais à la charge du recourant (c. 10.2).

III. Commentaire 

Cet arrêt surprend, tant s’agissant du raisonnement du TPF que du résultat auquel il aboutit, à savoir le cautionnement de la violation manifeste de toutes les règles relatives à l’extradition. Il appelle ainsi différentes remarques.

Le TPF décide que l’objet du recours est la décision de constatation rendue par l’OFJ en date du 23 juin 2021 selon laquelle il n’existe pas de motifs de refus de l’extradition demandée par les autorités allemandes le 21 mai 2021. Il réforme cette décision en ce sens qu’est ajouté le constat que le transfert du recourant aux autorités allemandes effectué par la KAPO le 25 décembre 2020 a violé les dispositions applicables à l’extradition et était donc illégal.

À titre préliminaire, il sied de signaler que la décision rendue par l’OFJ (ni dans sa teneur originelle, ni avec les ajouts faits par le TPF) ne correspond pas à ce que demandaient les autorités allemandes qui, après avoir échoué à obtenir la décision autorisant l’extradition de A – une telle décision n’ayant pas été rendue avant la remise – ont demandé à l’OFJ d’autoriser l’extradition a posteriori, i.e. de rendre a posteriori une décision d’extradition.

Ensuite, le TPF valide la décision de constatation s’agissant de l’absence de motifs de refus de l’extradition. Le moment pris en compte est celui de la décision, donc juin 2021. Or à cette date A ne se trouvait plus sur le territoire suisse. Sauf à jouer sur les mots et considérer que la présence de la personne en Suisse n’est pas un motif de refus mais une condition de l’extradition, il faut admettre qu’il existe une raison s’opposant à l’extradition. Par conséquent, la constatation n’est pas exacte.

S’agissant de l’ajout opéré par le TPF relatif à l’illégalité de la remise de A par la KAPO, il n’appelle pas de remarque particulière.

Après avoir constaté l’illégalité de la remise, le TPF considère que cette illégalité peut être réparée, en application, par analogie, de sa jurisprudence relative à l’entraide au sens strict développée dans l’affaire Petrobras (TPF 2016 65, c. 7.2). Selon cette jurisprudence, lorsque des pièces ont été transmises à l’étranger avant qu’une décision de clôture de l’entraide soit rendue, donc en violation des règles applicables à l’entraide, les autorités suisses n’ont pas à prendre de mesures particulières, i.e. demander leur restitution, destruction ou retrait du dossier de la procédure pénale étrangère, s’il s’avère que les conditions à l’octroi de l’entraide sont réalisées.

Cette jurisprudence est en soi critiquable, en tant qu’elle valide a posteriori une pratique non souhaitée par le législateur. Cependant, elle relève du pragmatisme, puisque les pièces pourraient être renvoyées une fois la procédure d’entraide terminée, dans le respect des règles applicables, et se justifie partant. Elle ne saurait toutefois être appliquée dans le cas d’espèce, dont les circonstances ne sont en rien comparables. En effet, la jurisprudence Petrobras concerne le cas dans lequel 1) une demande d’entraide a été présentée à la Suisse, 2) une décision d’entrée en matière, avec une analyse sommaire des conditions de l’entraide, a été rendue 3) par l’autorité suisse d’exécution compétente et 4) une décision de clôture de l’entraide a été rendue bien qu’après la remise des pièces. Or dans le cas d’espèce, aucun de ces éléments n’est donné : la remise de A aux autorités allemandes a eu lieu sans demande d’extradition, sur la base uniquement d’un mandat d’arrêt international allemand, a fortiori sans entrée en matière et analyse des conditions de l’extradition. L’autorité compétente, i.e. l’OFJ, n’est pas intervenue ; elle n’a même pas été informée des faits, ni au moment de leur survenance, ni dans les jours ou semaines qui ont suivi. Enfin, une décision d’extradition n’a pas été rendue a posteriori.

Par ailleurs, les conséquences de la transmission illégale anticipée de pièces bancaires, concernée par la jurisprudence Petrobras, sont sans commune mesure avec celles de la remise illégale spontanée d’une personne comme dans le cas d’espèce. Il est ici question d’une grave atteinte à la liberté de la personne qui est déplacée de force sur le territoire d’un État étranger et non d’un simple envoi par la poste de documents, même de nature bancaire. À cet égard, il est surprenant de constater que ni l’OFJ ni le TPF n’ont nommé de mandataire (d’office, art. 21 al. 1 EIMP) en Suisse, A ayant été représenté uniquement par son avocat allemand.

Pour conclure, la réparation de l’illégalité de la remise en application de la jurisprudence Petrobras ne convainc pas. L’arrêt en cause est regrettable en tant qu’il cautionne une pratique qui méprend toutes les règles suisses applicables à l’extradition.

Proposition de citation : Maria Ludwiczak Glassey, Remise d’une personne par la police suisse à un État étranger en violation manifeste des règles de l’extradition : aucune conséquence, in : https://www.crimen.ch/153/ du 23 novembre 2022