Obtention illicite d’une prestation d’une assurance sociale ou de l’aide sociale : évaluation de l’ampleur de la faute

Lorsque le montant du délit se trouve dans la zone « médiane » au vu des seuils chiffrés par le Tribunal fédéral, il convient d’évaluer l’ampleur de la faute de l’auteur en se fondant sur l’ensemble des circonstances du cas d’espèce, la durée de la période de perception illicite de la prestation étant un facteur d’appréciation pertinent. Par ailleurs, seule l’infraction d’obtention illicite de prestations sociales au sens de l’art. 148a al. 1 CP constitue un cas d’expulsion obligatoire, et non le cas de peu de gravité au sens de l’art. 148a al. 2 CP.

I. En fait

A, ressortissant français divorcé et sans enfant, est domicilié en Suisse et titulaire d’un permis B qui vient d’être renouvelé. Selon ses dires, il entretient des liens étroits avec ses amis en Suisse ainsi que son frère qui est frontalier et travaille en Suisse, mais pas avec ses parents qui vivent au Maroc. A a travaillé pour différentes entreprises suisses et son extrait du casier judiciaire suisse ne comporte aucune inscription. Du 23 octobre 2017 au 29 juin 2018, A a perçu des prestations indues de l’assurance-chômage à hauteur de CHF 6’304.15, car il était parti en France durant cette période sans l’annoncer au préalable à la caisse de chômage compétente.

Par jugement du 11 janvier 2022, le Tribunal de police de l’arrondissement de l’Est vaudois a condamné A, pour obtention illicite d’une prestation d’une assurance sociale ou de l’aide sociale au sens de l’art. 148a al. 1 CP, à une peine pécuniaire de 60 jours-amende à CHF 30.- le jour avec sursis durant deux ans et a ordonné son expulsion du territoire suisse pour une durée de cinq ans. Par jugement du 15 décembre 2022, la Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal vaudois a rejeté l’appel formé par A et confirmé le jugement de première instance. A forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral. Il conclut notamment à la réforme du jugement entrepris en ce sens qu’il soit condamné à une amende de CHF 450.- pour obtention illicite d’une prestation d’une assurance sociale ou de l’aide sociale au sens de l’art. 148a al. 2 CP et qu’il soit renoncé à son expulsion du territoire suisse.

II. En droit

Le recourant reproche à la cour cantonale d’avoir écarté le cas de peu de gravité au sens de l’art. 148a al. 2 CP et d’avoir établi les faits de façon manifestement inexacte au sens de l’art. 97 al. 1 LTF (c. 1).

La loi ne définit pas le cas de peu de gravité. Le Tribunal fédéral, dans un arrêt rendu postérieurement à l’arrêt attaqué, a toutefois établi des seuils. Lorsque le montant du délit est inférieur à CHF 3’000.-, il convient de partir du principe qu’il s’agit d’un cas de peu de gravité. Entre CHF 3’000.- et CHF 35’999.99, il convient d’évaluer, au cas par cas, l’ampleur de la faute en se fondant sur l’ensemble des circonstances du cas d’espèce. Si le montant du délit est supérieur à CHF 36’000.-, il n’est en principe pas possible de retenir un cas de peu de gravité (cf. TF 6B_1108/2021 du 27.4.2023, c. 1.5.7 destiné à la publication ; Frédéric Lazeyras, Cas de peu de gravité et expulsion pénale en cas d’obtention illicite de prestations d’une assurance sociale ou de l’aide sociale : le Tribunal fédéral fixe des limites chiffrées, in https://www.crimen.ch/195/ du 5 juillet 2023). Ainsi, et en particulier lorsque le montant des prestations sociales obtenues de manière illicite se situe dans la zone « médiane », il y a lieu de tenir compte d’autres éléments susceptibles de « réduire » la culpabilité de l’auteur (cf. art. 47 CP ; TF 6B_797/2021 du 20.7.2022, c. 2.2 et les références citées). Par exemple, lorsque la période de perception illicite de la prestation est courte, lorsque le comportement de l’auteur ne révèle qu’une faible énergie criminelle, ou lorsqu’on peut comprendre son but ou sa motivation, un cas de peu de gravité peut être admis. La commission d’une infraction par simple dissimulation d’une amélioration de la situation économique, et donc par omission, peut également constituer un cas de peu de gravité, tout comme le fait qu’il existe des circonstances notables atténuant la faute (c. 1.1).

Notre Haute Cour rappelle encore qu’elle statue sur la base des faits établis par l’autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), à moins que ceux-ci n’aient été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l’art. 95 LTF(art. 105 al. 2 LTF), à savoir pour l’essentiel de manière arbitraire en vertu de l’art. 9 Cst. (c. 1.2).

Selon les constatations cantonales, le recourant a résidé en France du 23 octobre 2017 au 29 juin 2018, alors qu’il touchait des indemnités de chômage, sans avoir averti la caisse de chômage. Or, lors de sa nouvelle demande d’indemnité du 3 octobre 2019, il a annoncé avoir « séjourné à l’étranger en qualité de salarié(e) ou aux fins de formation » durant cette même période. De plus, lors de sa première audition, le recourant a déclaré qu’il était parti en France suivre une formation et il a précisé qu’il avait touché un montant de € 400.- par mois durant dite période. La cour cantonale a conclu que le recourant avait délibérément passé des faits sous silence, alors qu’il avait l’obligation de renseigner spontanément l’autorité chargée de statuer sur son droit au versement d’indemnités de chômage de toute amélioration de sa situation financière. Selon l’autorité précédente, l’intensité de la volonté délictuelle du recourant était importante car elle s’était inscrite sur plusieurs mois d’affilée. Le montant détourné était par ailleurs loin d’être négligeable pour le recourant, qui rencontrait des difficultés financières à cette époque. Son but et sa motivation n’étaient pas non plus compréhensibles, l’argent indûment obtenu ayant également servi à voyager à l’étranger, notamment au Maroc. Partant, la cour cantonale a conclu que le comportement du recourant n’était pas constitutif d’un cas de peu de gravité au sens de l’art. 148a al. 2 CP(c. 1.3).

Le recourant soutient que la période au cours de laquelle il a indûment perçu les indemnités de l’assurance-chômage est sensiblement plus courte que celle retenue par la cour cantonale, qui s’est fondée sur une période de perception indue des indemnités allant du 23 octobre 2017 au 29 juin 2018. Or, le Tribunal fédéral constate que le recourant a été indemnisé pour la période du 1er octobre 2017 au 9 janvier 2018. Au vu de ce qui précède, la cour cantonale a retenu de façon manifestement inexacte que la période pendant laquelle le recourant avait perçu des indemnités indues était de huit mois, la période incriminée étant en réalité de quatre mois (cf. art. 105 al. 2 LTF) (c. 1.6 et 1.6.1).

Selon les seuils chiffrés établis par le Tribunal fédéral, le recourant, qui a touché des indemnités indues à hauteur de CHF 6’304.15, se trouve dans la zone « médiane ». Une telle situation suppose d’évaluer l’ampleur de la faute de l’auteur en se fondant sur l’ensemble des circonstances du cas d’espèce, la période de perception illicite de la prestation étant précisément un facteur d’appréciation pertinent. Par conséquent, en retenant une période de perception illicite de huit mois, au lieu de quatre mois, l’autorité précédente a fondé son appréciation des conditions d’application de l’art. 148a al. 2 CP sur un élément de fait manifestement inexact, dont la correction est susceptible d’influer sur le sort de la cause au sens de l’art. 97 al. 1 LTF. Le grief tiré d’un établissement arbitraire des faits doit dès lors être admis. L’autorité précédente devra statuer à nouveau sur l’application de l’art. 148a al. 2 CP en tenant compte de la correction de l’état de fait en rapport avec la période de perception d’indemnités indues (c. 1.6.2).

Selon ce qui précède, le recours doit être admis. L’admission du recours en relation avec la qualification de l’infraction entraîne également l’annulation de la décision de l’autorité précédente sur la question de l’expulsion, seule l’infraction de l’art. 148a al. 1 CP constituant un cas d’expulsion obligatoire (cf. art. 66a al. 1 let. e CP) (c. 2 et 3).

Proposition de citation : Sandy Ferreiro Panzetta, Obtention illicite d’une prestation d’une assurance sociale ou de l’aide sociale : évaluation de l’ampleur de la faute, in : https://www.crimen.ch/245/ du 26 janvier 2024