Indemnisation forfaitaire du défenseur d’office et violation du droit d’être entendu

Le tribunal qui refuse d’accorder une rémunération effective de l’activité déployée par un défenseur d’office et décide de lui appliquer un taux forfaitaire arrêté par un règlement cantonal doit motiver sa décision. En ce sens, la simple mention qu’il n’y a pas lieu de s’écarter dudit forfait, complétée en deuxième instance par l’indication que le poste problématique, en l’espèce celui concernant la correspondance, est artificiellement gonflé par des activités qui ne remplissent pas les exigences légales pour prétendre à une indemnisation, ne sont pas suffisantes. Elles ne permettent pas de déterminer si le montant alloué couvre la rémunération du défenseur d’office.

I. En fait

L’avocat A est désigné par le Ministère public de la République et canton de Genève défenseur d’office de B dans une procédure pénale dirigée à son encontre. Une indemnité d’office de CHF 15’539.- lui est allouée par le Tribunal de police du canton de Genève en lieu et place du montant demandé s’élevant à CHF 26’500.-. Un montant de CHF 2’281.- lui est attribué concernant le poste « correspondance », bien que A l’ait chiffré à CHF 7’515.-. Il s’agit d’une indemnité forfaitaire fixée conformément aux règles du pouvoir judiciaire genevois, soit en additionnant 10% à l’indemnité arrêtée à CHF 22’810.- (sans déplacements, TVA, débours et déductions). A interjette un recours contre la décision d’indemnisation et plus particulièrement les réductions opérées dans la rubrique « correspondance », lequel est rejeté par la Chambre pénale de recours de la Cour de justice du canton de Genève (CPAR). Selon la CPAR, certaines des opérations comptabilisées par A étaient sans lien avec la procédure ou portaient sur des problématiques périphériques non nécessaires à la défense du prévenu. Elle retient que le poste « correspondance » semblait artificiellement exagéré par des activités ne pouvant être indemnisées par l’assistance judiciaire. Elle estime par conséquent qu’il était correct d’appliquer un taux forfaitaire de 10% et de ne pas accorder une rémunération effective de l’activité de A déployée en relation avec cette rubrique. A recourt contre cette décision devant le Tribunal fédéral.

II. En droit

Le recourant conteste le montant de l’indemnité qui lui a été octroyée pour son activité de défenseur d’office. A l’appui de son recours, il invoque l’arbitraire, une violation de l’art. 135 CPP, ainsi qu’une violation de son droit d’être entendu relatif au défaut de motivation de l’arrêt cantonal en lien avec les réductions opérées sur la rubrique « correspondance » de son état de frais (c. 2).

Le défenseur d’office est indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès (art. 135 al. 1 CPP). Le Règlement sur l’assistance juridique et l’indemnisation des conseils juridiques et défenseurs d’office en matière civile, administrative et pénale (RAJ/GE) fixe ces tarifs dans le canton de Genève. Le règlement prévoit un taux horaire applicable à l’activité en considération du statut de l’avocat (CHF 200.- pour un chef d’étude, CHF 150.- pour un collaborateur, CHF 110.- pour un stagiaire) et dispose que seules les heures nécessaires sont retenues, lesquelles sont appréciées en fonction, notamment, de la nature, de l’importance, et des difficultés de la cause, de la qualité du travail fourni et du résultat obtenu (art. 16 al. 1 et 2 RAJ/GE). L’assistance juridique ne couvre que les démarches ou les actes de procédure utiles à la défense de la personne bénéficiaire. Elle ne s’étend pas aux activités relevant de l’assistance sociale ou dont d’autres organismes subventionnés directement ou indirectement peuvent se charger à moindre frais (art. 3 al. 2 et 3 RAJ/GE). Des instructions du pouvoir judiciaire des 10 septembre 2002 et 17 décembre 2004 précisent que les frais liés à la correspondance et aux appels téléphoniques, ainsi que le temps consacré à ces tâches, sont évalués à hauteur de 20 % des heures d’activité dont l’autorité admet la nécessité (TF 6B_838/2015 du 25.7.2016, c. 3.1). Toutefois, cette dernière peut ajuster ce taux si les frais et activités sont couverts par un montant inférieur (TF 6B_198/2022 du 29.11.2022, c. 2.4.2) (c. 2.1.2).

Il est admissible de  fixer des honoraires de manière forfaitaire. En pareil cas, il ne doit être tenu compte du temps de travail effectif que pour fixer le montant des honoraires dans le cadre de l’échelle forfaitaire. Le forfait est inconstitutionnel si la situation concrète ne fait l’objet d’aucune prise en compte et que, dans le cas d’espèce, il est hors de toute proportion raisonnable en considération des prestations fournies par l’avocat (ATF 143 IV 453, c. 2.5) (c. 2.1.3).

Dans le cas d’espèce, la rubrique « correspondance » comportait un total de 218 entrées. Un certain nombre d’entre elles étaient relatives à des démarches effectuées pour le compte du prévenu auprès de l’Office cantonal de la population et des migrations, notamment en lien avec le renouvellement de son permis de séjour, auprès du Service de probation et d’insertion ou concernaient sa situation médicale. L’instance précédente a considéré que la rubrique « correspondance » était gonflée artificiellement en raison d’activités qui ne répondaient pas aux exigences légales pour être prises en compte dans le calcul de l’indemnisation du défenseur d’office. Elle a précisé qu’après retranchement des activités sans lien avec la procédure, le poste « correspondance » ne présentait plus d’éléments permettant de justifier une rémunération effective qui semblait ainsi couverte par l’indemnité de CHF 2’281.- (c. 2.2). 

Le Tribunal fédéral arrive à la conclusion que l’examen de la liste de frais concernant la rubrique « correspondance », malgré le retranchement en parallèle des éléments cités par la cour cantonale pour justifier l’application du forfait de 10 %, ne permet pas, en l’absence de précisions supplémentaires, de déduire que le montant de CHF 2’281.- couvre la rémunération du défenseur d’office. Au vu de la succincte motivation du tribunal de première instance concernant le poste « correspondance » relevant qu’eu égard à l’importance de l’activité déployée par le recourant, rien de justifiait de s’écarter du forfait « courriers/téléphones » arrêté à 10 %, complétée par la motivation globale mentionnée plus haut de la cour cantonale (c. 2.2), le recourant n’est pas à même d’identifier facilement et clairement les éléments considérés comme excessifs et qui ne peuvent donc faire l’objet d’une indemnisation. Alors qu’il a justifié de manière détaillée sa liste d’opérations, cette démarche viole le droit d’être entendu du recourant. Le recours est par conséquent admis (c. 2.4). 

Proposition de citation : Laura Ces, Indemnisation forfaitaire du défenseur d’office et violation du droit d’être entendu, in : https://www.crimen.ch/250/ du 23 février 2024