Créance compensatrice : la solidarité entre plusieurs prévenus est exclue

Contrairement au droit civil (art. 50 al. 1 CO), la solidarité entre plusieurs prévenus est exclue en cas de condamnation à une créance compensatrice sur le plan pénal. L’autorité judiciaire qui prononce une créance compensatrice en faveur du lésé doit s’assurer que le montant dû soit réparti parmi les protagonistes en fonction de la part reçue du butin.

I. En fait

Par jugement du 15 juillet 2022, le Tribunal criminel de l’arrondissement de la Broye et du Nord vaudois reconnaît A coupable de tentative de brigandage et de brigandage qualifié (art. 22 cum art. 140 CP) et le condamne à une peine privative de liberté de 7 ans. En outre, il prononce contre A et B, ce dernier étant considéré comme coauteur, le paiement conjoint et solidaire d’une créance compensatrice de CHF 25’349’124.25, qu’il attribue à C SA. Saisie sur appel de A, la Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal vaudois réduit la peine privative de liberté prononcée par le tribunal de première instance. Elle confirme le jugement du 15 juillet 2022 pour le surplus. 

A forme recours au Tribunal fédéral et conclut à son acquittement de tentative de brigandage. De plus, il demande qu’aucune créance compensatrice ne soit prononcée. 

II. En droit

Dans un premier grief, le recourant invoque l’arbitraire dans l’établissement des faits et l’appréciation des preuves (art. 105 al. 2 LTF et 9 Cst.), ainsi que la violation de la présomption d’innocence (art. 10 CPP, 32 al. 2 Cst. et 6 par. 2 CEDH). Il reproche notamment à la Cour d’avoir retenu une coactivité au lieu d’une complicité entre lui et B (c. 1). 

Le TF rappelle qu’il est lié par les constatations de fait de la décision précédente, à moins qu’elles n’aient été établies de façon arbitraire au sens de l’art. 9 Cst. Il considère en outre, que lorsque l’appréciation des preuves et les faits retenus sont critiqués en référence au principe in dubio pro reo, celui-ci ne dépasse pas la portée de l’interdiction de l’arbitraire (c. 1.1). 

Le recourant soutient que les faits retenus par la Cour cantonale ne prouvent pas sa participation à la tentative de brigandage. Il justifie la présence de son ADN sur les lieux du crime en affirmant qu’il nettoyait des voitures pour le compte de B, dont la participation peut être fondée. Le TF estime ces arguments irrecevables, alors qu’il s’agit d’une appréciation personnelle des faits, sans pour autant démontrer que ceux retenus par la Cour cantonale sont arbitraires (c. 1.3).

En second lieu, A allègue une violation de l’art. 71 al. 2 CP. La créance compensatrice serait irrécouvrable au vu de sa situation financière difficile. En outre, celle-ci pourrait empêcher sa réinsertion sociale (c. 2.1). 

Sur le plan du prononcé d’une créance compensatrice, le TF confirme sa jurisprudence antérieure prévoyant qu’une solidarité entre plusieurs protagonistes est exclue en droit pénal (ATF 140 IV 57, c. 4.3 ; 119 IV 17, c. 2b). Il précise que celle-ci doit être prononcée à l’encontre de chaque participant en fonction de la part reçue du butin. Si les parts ne peuvent être définies, le montant doit être réparti de manière égale entre les participants (ATF 119 IV 17, c. 2b) (c. 2.2.1). 

En l’occurrence, la Cour cantonale a statué sur les prétentions civiles de C SA en ordonnant à A et B de s’acquitter des dommages-intérêts, conjointement et solidairement. Elle a prononcé simultanément une créance compensatrice en faveur de C SA, correspondant au montant net du butin du braquage et des prétentions civiles (c. 2.3). Pour le TF, le fait de prononcer simultanément une créance compensatrice et d’allouer au lésé ses conclusions civiles est admissible, lorsque le prévenu ne s’est pas encore acquitté des dommages-intérêts dus (c. 2.2.2). Par ailleurs, la mise à charge, solidairement, de la totalité du dommage à la charge du recourant sur le plan civil n’est pas problématique. Toutefois, la solidarité est appliquée à tort en ce qui concerne la créance compensatrice. Le TF estime que la Cour cantonale aurait dû répartir la créance entre les protagonistes, en tenant compte du fait que plusieurs autres individus, jugés partiellement dans des procédures parallèles, ont également participé aux infractions contre C SA et auraient eu droit à une part du butin (c. 2.3). Le recours est ainsi partiellement admis (c. 3).

Proposition de citation : Melody Bozinova, Créance compensatrice : la solidarité entre plusieurs prévenus est exclue, in : https://www.crimen.ch/creance-compensatrice-la-solidarite-entre-plusieurs-prevenus-est-exclue/ du 7 août 2024