L’exception au principe de huis clos en procédure pénale des mineurs 

L’intérêt du prévenu mineur à voir sa sphère intime protégée de la curiosité du public est déterminant en matière de huis clos en procédure pénale des mineurs (art. 14 PPMin). La publicité peut exceptionnellement être ordonnée si les intérêts du prévenu mineur ne sont pas contraires à celle-ci. La gravité des faits, le jeune âge des victimes et le passage à l’âge adulte du prévenu en cours de procédure, peuvent constituer des facteurs militant en faveur de la publicité ou la publicité partielle de la procédure.

I. En fait 

Le Ministère public des mineurs de Winterthour reproche à A, né en 2001, de nombreux actes commis entre décembre 2017 et décembre 2019, essentiellement dans le cadre d’une relation entretenue avec B, née en 2005. A aurait notamment profité de sa position de force et de domination vis-à-vis de B pour la manipuler, l’humilier, la racketter et l’assimiler à de la marchandise devant des tiers, ainsi que pour l’utiliser afin de satisfaire son plaisir sexuel et celui de tiers. 

Par décision du 7 avril 2022, le Tribunal des mineurs de Winterthour admet la présence de journalistes accrédités lors des interrogatoires des prévenus et de la lecture du jugement par devant lui et exclut, pour le surplus, la présence du public. Dans un arrêt du 28 avril 2022, la Cour suprême du canton de Zurich rejette le recours déposé à l’encontre de cette décision. 

Par jugement du 7 juillet 2022, le Tribunal des mineurs reconnaît A coupable de traite d’êtres humains (art. 182 CP), tentatives de viols commises en commun (art. 190 cum 200 CP), contraintes sexuelles commises en commun (art. 189 cum 200 CP) ainsi que d’actes d’ordre sexuel avec des enfants commis en partie en commun (art. 187 cum 200 CP), et le condamne à une peine privative de liberté de huit ans et neuf mois.

A forme appel à l’encontre du jugement du 7 juillet 2022, de même que l’Oberjugendanwaltschaft du canton de Zurich. La procédure au fond est actuellement pendante. 

Dans le cadre de l’appel, A requiert le huis clos complet et l’exclusion de la présence de journalistes accrédités. Par ordonnance du 30 mai 2024, le Président de la Cour suprême du canton de Zurich exclut le public de l’audience d’appel, autorise la présence de journalistes accrédités lors des interrogatoires des prévenus et de la lecture du jugement à certaines conditions, et assortit l’injonction de la menace d’amende prévue à l’art. 292 CP. Les journalistes sont tenus de s’abstenir de divulguer toute information permettant l’identification des parties (noms, initiales, dates de naissance, nationalités, lieux de résidence, lieux de commission des actes et photographies, notamment).

A forme recours en matière pénale devant le Tribunal fédéral à l’encontre de cette ordonnance et conclut notamment à l’exclusion des journalistes lors de l’audience d’appel. 

II. En droit 

Le TF rappelle certains principes régissant l’application du droit pénal des mineurs et du droit pénal général, en particulier en matière d’application des peines prévues par le Code pénal lorsque plusieurs infractions commises avant et après l’âge de 18 ans sont jugées en même temps (art. 3 al. 2 DPMin). Il évoque le principe du huis clos en droit pénal des mineurs, codifié à l’art. 14 PPMin (c. 2.2). 

Le TF souligne l’intérêt du prévenu mineur à voir sa vie privée protégée, de même que son avenir. Notre Haute Cour rappelle que cet intérêt est déterminant en matière de publicité des débats en procédure pénale des mineurs et qu’il importe que le mineur soit soustrait à la curiosité du public. Les juges fédéraux soulignent en outre que les communications officielles des instances judiciaires en fin de procédure permettent de pallier la non-publicité, tout en préservant intégralement les intérêts du mineur (art. 14 al. 1 PPMin). La publicité, ou la publicité partielle, des débats devant le tribunal des mineurs ou l’instance d’appel peut exceptionnellement être ordonnée, notamment lorsque le cas a fait grand bruit et a ému l’opinion publique. La publicité ne peut toutefois pas être contraire aux intérêts du prévenu mineur (art. 14 al. 2 let. b PPMin). Bien que l’âge du mineur doive être pris en compte au stade de la pesée des intérêts, le principe du huis clos s’applique également au prévenu mineur transitoire au sens de l’art. 3 al. 2 DPMin (c. 2.3.1).

Dans le cadre de cette procédure, la cour cantonale a joint plusieurs affaires, parmi lesquelles certaines sont dirigées à l’encontre de prévenus ayant atteint la majorité. Elle a exclu le public des débats en prenant en compte la nature des faits se rapportant à la sphère intime des victimes, en particulier à leur intégrité sexuelle, ainsi que la minorité de certains des prévenus, dont celle de A. Elle a toutefois admis la publicité partielle en autorisant la présence de journalistes accrédités aux débats à certaines conditions. Dans la pondération des intérêts, l’autorité cantonale a retenu l’intérêt public considérable de l’affaire, en se référant notamment à la couverture médiatique effectuée par le journal Tages-Anzeiger en 2022, tout en considérant que le complexe de faits comportait un intérêt public accru à tous les stades de la procédure judiciaire, en particulier à la lumière de la relation entretenue entre A et B, des faits reprochés à A et des faits connexes se rapportant aux six autres prévenus, sortant clairement de l’ordinaire. Enfin, la cour cantonale a précisé que la publicité partielle n’était pas contraire aux intérêts des prévenus mineurs dans la mesure où ils étaient désormais majeurs, et qu’ils n’avaient dès lors pas le même besoin de protection. 

Selon notre Haute Cour, l’instance inférieure ne viole pas le droit fédéral en admettant la présence des journalistes accrédités aux débats devant l’autorité d’appel. Le TF souligne la gravité des faits de violence, notamment de nature sexuelle, commis à l’encontre de victimes alors âgées de 12 à 14 ans. Il relève que A n’a pas contesté l’arrêt du 28 avril 2022 de la Cour suprême de Zurich autorisant la présence de journalistes accrédités devant le Tribunal des mineurs et s’est borné à contester la présence des journalistes accrédités aux débats d’appel. Les juges fédéraux retiennent qu’il ne peut ainsi être reproché à l’autorité cantonale d’avoir retenu le même intérêt public à autoriser la présence des journalistes accrédités en procédure d’appel à certaines conditions, conformément à ce qui avait été retenu pour la procédure devant le Tribunal des mineurs. Qui plus est, A a atteint la majorité il y a cinq ans et il n’a pas démontré en quoi la présence de journalistes accrédités était contraire à ses intérêts, ni que la couverture médiatique de l’affaire avait conduit à son identification (c. 2.4). 

Partant, le TF rejette le recours dans la mesure de sa recevabilité (c. 3). 

III. Commentaire 

Il est intéressant de constater que la présente décision est destinée à publication et ce malgré les agissements quelque peu boiteux de la part de la défense : l’on peine à comprendre pourquoi un recours au TF (en application de l’art. 93 al. 1 let. a LTF) n’a pas été déposé à l’encontre de l’arrêt cantonal du 28 avril 2022 qui autorisait la présence de journalistes accrédités devant le Tribunal des mineurs. En effet, dans la présente affaire, les juges fédéraux n’avaient à se prononcer que sur la présence des journalistes accrédités devant la juridiction d’appel, la question en première instance étant forclose. Le TF aurait-il tranché dans un sens opposé si un recours avait été déposé par devant son autorité dans le cadre de la procédure de première instance, en faisant ainsi primer les intérêts du prévenu mineur ? 

Il convient également de soulever l’importance octroyée par les autorités judiciaires au passage à l’âge adulte en cours de procédure du prévenu poursuivi pour des faits commis au cours de sa minorité. En effet, malgré l’applicabilité théorique du principe du huis clos au prévenu mineur transitoire au sens de l’art. 3 al. 2 DPMin, il ressort de l’arrêt qu’un grand poids est conféré, tant par la cour cantonale que par le TF, au passage à l’âge adulte du prévenu pour justifier l’exception au huis clos dans la pondération des intérêts. Au vu de la durée des procédures judiciaires, de la surcharge de nos autorités et de l’inévitable entrée à l’âge adulte en cours de procédure d’un grand nombre de prévenus mineurs, l’on peut se demander si l’invocation presque désinvolte de cet argument dans le but de justifier la publicité de la procédure ne viderait pas de son sens le principe de huis clos en procédure pénale des mineurs. L’arrêt met en lumière la complexité de la mise en balance de deux pierres angulaires de notre système : la publicité en procédure pénale et la vie privée de l’enfant mineur. 

Proposition de citation : Maya Bodenmann, L’exception au principe de huis clos en procédure pénale des mineurs , in : https://www.crimen.ch/310/ du 15 janvier 2025