La récusation d’un agent de police : des exigences d’impartialité réduites par rapport à celles d’un procureur ou d’un juge (rappel de jurisprudence)

Les motifs de récusation cités à l’art. 56 CPP s’appliquent à un agent de police en tant que membre d’une autorité pénale (art. 12 let. a CPP). La récusation en raison d’une suspicion de prévention est examinée à l’aune de l’art. 29 al. 1 Cst., en tenant compte de la différence de fonction entre une autorité de poursuite pénale et un tribunal (art. 13 CPP). L’art. 30 al. 1 Cst. garantissant le droit à un tribunal impartial s’applique ainsi avec réserve aux autorités non judiciaires. Il en découle que les exigences d’impartialité sont moins strictes pour un agent de police que pour un procureur ou un juge, étant rappelé que seules des erreurs graves ou fréquentes permettent de conclure à une apparence de partialité d’un procureur.

I. En fait

Une enquête policière pour diffamation est ouverte en 2023 à l’encontre de A et confiée à l’agent B. Celui-ci était déjà intervenu, deux ans plus tôt, dans une procédure pénale impliquant A et son fils, alors prévenus d’infractions contre l’intégrité physique et ayant abouti à un classement. A demande la récusation du policier au ministère public, en vain, et voit ensuite son recours rejeté par le tribunal cantonal. Il porte l’affaire devant le Tribunal fédéral, concluant à l’annulation du jugement de l’instance précédente et à l’admission de sa demande de récusation.

II. En droit

Se référant à l’affaire de 2021, le recourant allègue une violation du principe d’impartialité, dans la mesure où le policier l’avait, à l’époque, qualifié de « prévenu » et refusé d’enregistrer une plainte pénale déposée oralement par son fils (co-prévenu) à l’encontre des autres personnes impliquées dans l’altercation physique. La partialité de l’agent tiendrait également à ce qu’il aurait mentionné, dans son rapport, les dires de plusieurs individus signalant une dispute, sans avoir cherché à identifier ces témoins. À ceci s’ajouterait un manquement du policier, qui n’avait pas saisi une batte de baseball comme preuve clé (c. 2.1). 

Le Tribunal fédéral rappelle que les motifs de récusation cités à l’art. 56 CPP s’appliquent à un agent de police, en tant que membre d’une autorité pénale (art. 12 let. a CPP). L’art. 56 let. f CPP est une clause générale, qui prévoit spécifiquement qu’une personne exerçant une fonction au sein d’une autorité pénale est tenue de se récuser pour tout motif de nature à la rendre suspecte de prévention, notamment un rapport d’inimitié avec une partie. Selon la jurisprudence, l’appréciation des circonstances propres à faire douter de l’impartialité doit se faire de manière objective. Il n’est pas nécessaire que la personne en cause soit effectivement partiale (not. ATF 148 IV 137, c. 2.2 ; 144 I 234, c. 5.2). Il s’agit en revanche de savoir si, objectivement, l’issue de la procédure semble encore ouverte (not. TF, 1B_439/2022 du 29.6.2023, c. 4.2). La récusation d’une autorité de poursuite pénale est examinée selon l’art. 29 al. 1 Cst., étant admis qu’il doit être tenu compte de la différence fonctionnelle entre une autorité de poursuite pénale (art. 12 CPP) et une juridiction (art. 13 CPP). L’art. 30 al. 1 Cst. garantissant le droit à un tribunal impartial ne saurait s’appliquer sans réserve aux autorités non judiciaires (ATF 141 IV 178, c. 3.2.2). L’exigence d’impartialité est ainsi moins stricte pour un agent de police que pour un procureur ou un juge (not. TF, 1B_236/2019 du 9.7.2019, c. 2.1) (c. 2.2).

Le Tribunal fédéral statue exclusivement sur la base des faits évoqués par le recourant qui figurent également dans la décision attaquée (art. 105 al. 1 LTF), soit ce qui suit : dans son rapport, le policier a désigné le recourant et son fils en tant que prévenus, et leurs contradicteurs en tant que victimes ; il n’a pas cherché à identifier les personnes ayant signalé l’incident ; la batte de baseball n’a été saisie que tardivement. Ces agissements n’ont pas été considérés comme propres à générer un soupçon de partialité par la juridiction inférieure. Le Tribunal fédéral rejoint les juges cantonaux, rappelant que seules des erreurs graves ou fréquentes permettent de conclure à une apparence de partialité d’un procureur soumis à une exigence de partialité plus élevée qu’un agent de police. In casu, les erreurs ne sauraient même pas être qualifiées comme telles. Surtout, le recourant ne démontre pas de lien suffisant avec l’enquête pénale actuellement menée à son encontre, manquant d’expliquer en quoi les agissements antérieurs du policier empêcheraient ce dernier de conduire une enquête impartiale. La motivation du recourant est en cela insuffisante (c. 2.4.1). 

Enfin, l’art. 56 let. b CPP, selon lequel la récusation s’impose pour une personne ayant agi dans la même cause à un autre titre, ne trouve pas non plus application dans le cas présent. Le policier a en effet agi en tant qu’enquêteur dans les deux procédures, c’est-à-dire avec la même fonction. L’identité de la cause suppose par ailleurs une identité des parties, de la procédure et des questions litigieuses (ATF143 IV 69, c. 3.1), ce qui n’est pas le cas en l’espèce (c. 2.5).

Le recours est par conséquent rejeté, dans la mesure où il est recevable.

III. Commentaire

La conclusion du Tribunal fédéral n’appelle aucune critique, les arguments du recourant étant à l’évidence insuffisants pour établir un doute quant à l’impartialité du policier intimé. En revanche, et indépendamment du cas d’espèce, en soulignant que la récusation d’un procureur ne s’impose qu’en cas d’erreurs graves ou fréquentes, le Tribunal fédéral laisse entendre que de telles erreurs pourraient ne pas être suffisantes pour fonder la récusation d’un policier, soumis à des exigences d’impartialité moindres. À la lecture de ce qui précède, les possibilités de récusation des agents de police sur la base de la clause générale de l’art. 56 let. f CPP apparaissent donc extrêmement minces, si ce n’est inexistantes, alors même que ceux-ci exercent une influence sur le dossier des prévenus dès les premiers actes d’une enquête. Or, si l’on peut certainement justifier une approche différenciée du degré d’impartialité requis d’un policier et d’un procureur compte tenu de la subordination du premier au second dans la procédure pénale (cf. not. TF, 7B_553/2023, c. 2.3.2), il convient néanmoins de s’assurer que les policiers n’échappent pas de facto et de iure  à la sanction prévue pour la violation de ce principe cardinal de procédure dans des cas autres que ceux prévus à l’art. 56 let. a-e CPP.

Proposition de citation : Camille Montavon, La récusation d’un agent de police : des exigences d’impartialité réduites par rapport à celles d’un procureur ou d’un juge (rappel de jurisprudence), in : https://www.crimen.ch/319/ du 4 mars 2025