Le droit du prévenu en détention de communiquer par téléphone avec son défenseur

Le droit à une défense effective garantit à toute personne détenue avant jugement la possibilité d’échanger avec son défenseur de manière simple, rapide et peu coûteuse. Son incarcération ne doit pas péjorer ses droits de défense par rapport à un prévenu en liberté. Il bénéficie ainsi en principe du droit de communiquer par téléphone avec son avocat. Outre en présence d’un risque fondé d’abus, ce droit peut être limité en termes de fréquence, de durée et d’horaires des contacts téléphoniques, afin de garantir l’ordre et la sécurité de l’institution carcérale.

I. En fait

A est soupçonné de tentative de lésions corporelles graves, violence et menaces à l’encontre d’un fonctionnaire ainsi que de diverses autres infractions. Il se trouve en détention provisoire depuis son arrestation le 19 octobre 2023. Par décision du 15 août 2024, le Ministère public régional de Berne-Mittelland a rejeté deux requêtes de A tendant à l’autorisation permanente de téléphoner (« Dauertelefonbewiligung ») avec son avocate. La Cour suprême du canton de Berne a confirmé cette décision par ordonnance du 28 octobre 2024.

A saisit le Tribunal fédéral d’un recours en matière pénale. Il conclut principalement au constat de l’incompétence du Ministère public pour prononcer la restriction des contacts téléphoniques, subsidiairement à l’autorisation permanente de téléphoner avec son avocate, dans la limite des possibilités de l’établissement pénitentiaire.

II. En droit

Les juges fédéraux commencent par rappeler que toute personne est présumée innocente jusqu’à sa condamnation entrée en force (art. 6 § 2 CEDH, 32 al. 1 Cst. et 10 al. 1 CPP). Il en découle, en vertu de l’art. 235 CPP, que la liberté des prévenus en détention ne peut être restreinte que dans la mesure requise par le but de la détention et par le respect de l’ordre et de la sécurité dans l’établissement (al. 1). Tout contact entre le prévenu en détention et des tiers est soumis à l’autorisation de la direction de la procédure. Les visites sont surveillées si nécessaire (al. 2). Cependant, le prévenu en détention peut communiquer librement avec son défenseur, sans que le contenu de leurs échanges soit contrôlé. La direction de la procédure, avec l’accord du tribunal des mesures de contrainte (TMC), ne peut limiter les relations du prévenu avec son défenseur que s’il existe un risque fondé d’abus (al. 4). Les cantons règlent les droits et les obligations des prévenus en détention, leurs droits de recours, les mesures disciplinaires ainsi que la surveillance des établissements de détention (al. 5). Il ressort ainsi de l’art. 235 CPP que, contrairement aux tiers, le défenseur du prévenu en détention avant jugement ne doit pas obtenir une autorisation de la direction de la procédure pour communiquer avec ce dernier. Par ailleurs, il faut opérer une distinction entre la restriction proprement dite des communications entre le prévenu et son défenseur en raison d’un risque d’abus, d’une part, et de simples mesures organisationnelles visant à garantir l’ordre et la sécurité dans l’établissement de détention, qui se rapportent uniquement aux modalités de communication entre le prévenu et son défenseur, d’autre part (c. 4).

Se penchant tout d’abord sur le grief du recourant tiré de l’incompétence du Ministère public pour se prononcer sur sa demande d’autorisation permanente de téléphoner à son avocate, le TF constate qu’en l’espèce, la décision litigieuse ne se fonde pas sur l’art. 235 al. 4, 2ème phrase, CPP, faute d’un quelconque indice de risque d’abus et d’aval par le TMC. La décision de restriction des contacts téléphoniques ne peut ainsi reposer que sur les dispositions cantonales d’exécution auxquelles renvoie l’art. 235 al. 5 CPP. Compte tenu de l’autonomie importante accordée aux cantons en la matière, le TF juge que le règlement des prisons régionales bernoises, qui octroie la compétence décisionnelle en lien avec les communications téléphoniques des prévenus à la direction de la procédure au sens du CPP, et non aux autorités cantonales d’exécution, ne contrevient pas au droit fédéral. Le recours se révèle ainsi mal fondé sur ce point (c. 5).

Les juges fédéraux examinent ensuite le reproche du recourant à l’égard de la décision attaquée, qui restreint, selon lui, son droit de communiquer avec son avocate de manière contraire à l’art. 235 al. 4 CPP. Si le droit à une défense effective (art. 32 al. 2 Cst. et 6 § 3 let. c CEDH) ne permet pas le libre choix du moyen de communication entre la personne détenue et son défenseur, il garantit au détenu que ses droits de défense ne soient pas restreints par rapport à un prévenu en liberté. Ainsi, lorsqu’il le juge nécessaire, le détenu a le droit de prendre contact avec son défenseur de manière simple, rapide et – particulièrement en cas de défense privée – peu onéreuse. Reconnaissant le caractère chronophage d’une visite en prison, que la correspondance postale ne permet qu’en partie d’atténuer, le TF affirme que le prévenu en détention dispose, en principe, d’un droit à communiquer par téléphone avec son avocat. Ce droit, fondé sur l’art. 235 al. 4 CPP, ne peut être limité – sous réserve de risque d’abus – que dans la mesure nécessaire à garantir l’ordre et la sécurité dans l’établissement pénitentiaire. Des restrictions quant au nombre, à la durée et aux horaires des appels entre le prévenu en détention et son défenseur peuvent ainsi être imposées (c. 6.1-6.2).

Dans sa décision, la Cour cantonale bernoise a certes reconnu que A ne pouvait être privé de contact téléphonique avec son avocate en raison d’un risque de collusion, faute d’éléments contraires. Toutefois, elle a considéré qu’une autorisation permanente de communiquer par téléphone générerait une charge de travail considérable pour les autorités pénitentiaires, qui devraient s’assurer que les appels ne soient pas utilisés à d’autres fins, d’autant plus que de telles demandes sont vouées à se multiplier en raison des progrès techniques et de l’évolution des besoins. De plus, le recourant n’explique pas en quoi des appels réguliers à son avocate seraient nécessaires pour assurer sa défense. Ces arguments ne convainquent pas notre Haute Cour. Selon elle, divers moyens efficaces existent pour lutter contre le risque de collusion lors d’appels téléphoniques avec la défense. Les autorités d’exécution peuvent par exemple transmettre l’appel du prévenu au numéro de téléphone indiqué par son défenseur. Il est également aisé de restreindre techniquement la possibilité du prévenu de composer un autre numéro que celui de son défenseur. Dans certains cantons (p. ex. Vaud et Thurgovie), les communications téléphoniques entre un prévenu et son avocat sont d’ailleurs, sur le principe, autorisées. Le TF souligne en outre que le temps investi par le personnel pénitentiaire pour contrôler les télécommunications ne devra pas l’être pour les visites du défenseur à la prison. Enfin, il rappelle que les autorités pénales n’ont pas à se prononcer sur l’utilité des échanges entre le prévenu et son avocat, sauf en cas d’abus ; l’opportunité des échanges est exclusivement laissée à l’appréciation des parties concernées (c. 6.3).

En conclusion, le TF estime que l’instance précédente a contrevenu à l’art. 235 al. 4 CPP. Il réforme la décision attaquée en admettant la demande de A d’autorisation permanente de téléphoner à son avocate, tout en rappelant que la mise en œuvre des modalités des contacts téléphoniques incombera aux autorités d’exécution conformément aux dispositions cantonales. Partant, le recours est partiellement admis (c. 6.4-7).

III. Commentaire

Cet arrêt du TF destiné à publication qui, à notre connaissance, reconnaît pour la première fois le droit du prévenu en détention de correspondre par téléphone avec son défenseur, doit être approuvé. L’accès simple et rapide aux conseils d’un avocat durant les premières phases de la détention est souvent crucial pour assurer une défense efficace du prévenu, présumé innocent et particulièrement vulnérable à ce stade de la procédure (Damian Boll, « Verteidigung der ersten Stunde » gemäss schweizerischer StPO, thèse Zurich 2020, p. 152 ; Association for the prevention of torture, Accès et contact avec un.e avocat.e). Les contacts téléphoniques, aussi précieux soient-ils, n’ont pas vocation à remplacer les indispensables visites du défenseur à son client emprisonné, mais constituent un moyen efficace pour entretenir une correspondance régulière et assurer une défense réactive et adéquate dans des situations parfois urgentes, en particulier au vu des emplacements souvent excentrés des prisons. Si la période du Covid-19 a pu favoriser le développement de la possibilité de contacts téléphoniques entre les détenus et leur défenseur (cf. à Genève : Ordre des avocats de Genève, Conditions de détention et mauvais traitement, Vade-mecum, mai 2021, p. 35 no 157), ce jugement permettra sans doute de renforcer cette tendance et d’éviter de revenir à des situations qui ont été jugées problématiques en termes de contacts téléphoniques des prévenus avec le monde extérieur (cf. TF 1B_335/2013 du 26.02.2014, c. 3.6.1).

Proposition de citation : Frédéric Lazeyras, Le droit du prévenu en détention de communiquer par téléphone avec son défenseur, in : https://www.crimen.ch/328/ du 22 avril 2025