Levée des scellés sur un téléphone portable contenant des images intimes : l’intérêt à la poursuite pénale prime sur celui à la protection de la personnalité

La mise sous scellés d’un objet en vue de son séquestre doit reposer sur l’un des motifs prévus à l’art. 264 CPP, applicable par renvoi de l’art. 248 CPP. Les smartphones utilisés à titre privé entrent dans la catégorie des « documents personnels » au sens de l’art. 264 al. 1 let. b CPP. Ceux-ci ne bénéficient toutefois pas d’une protection absolue ; il appartient à la personne concernée de démontrer que son intérêt à la protection de sa personnalité l’emporte sur l’intérêt public à la poursuite pénale. In casu, l’intérêt du recourant à la protection d’images sexuellement explicites de lui-même et de sa compagne cède le pas devant celui à l’élucidation de l’infraction dont il est prévenu, à savoir l’importation de 7,18 kg de cocaïne coupée, en raison de la gravité des faits.

I. En fait

A est soupçonné d’avoir commis une infraction grave à la Loi fédérale sur les stupéfiants (LStup) en ayant importé 7,18 kg d’un mélange contenant de la cocaïne en Suisse. Lors d’un contrôle, la drogue est saisie, ainsi qu’un téléphone portable appartenant à A. Sur demande du Ministère public de Zurich-Limmat, le Tribunal de district de Zurich ordonne la levée des scellés en vue de la fouille du téléphone dans le cadre de l’enquête pénale. A forme un recours en matière pénale devant le Tribunal fédéral, demandant l’annulation de la décision du Tribunal de district et la restitution du téléphone séquestré. Il fait également grief d’une violation du droit fédéral résultant de la mise sous scellés du téléphone auprès des autorités de poursuite pénale.

II. En droit

Le Tribunal fédéral rappelle que la demande de mise sous scellés d’un objet en vue de son séquestre doit reposer sur l’un des motifs de protection du secret prévus exhaustivement à l’art. 264 CPP, applicable par renvoi de l’art. 248 al. 1 CPP. Selon sa jurisprudence, si la levée des scellés par le Tribunal des mesures de contrainte contrevient au motif de protection, le secret est irrémédiablement révélé, ce qui constitue un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF). In casu, le recourant invoque un intérêt à la protection de sa personnalité (art. 264 al. 1 let. b CPP) du fait de la présence de documents personnels sur le téléphone saisi, à savoir des photos et vidéos intimes de sa compagne et lui. La levée des scellés l’exposerait à un risque de préjudice irréparable, puisque la prise de connaissance des documents serait sans retour et porterait ainsi une atteinte irréversible à sa personnalité (c. 2.2-2.3).

Du fait des évolutions technologiques, les smartphones privés correspondent indéniablement à la notion de « documents personnels » au sens de l’art. 264 CPP. Sont en effet stockés, sur un même dispositif, une multitude de données sensibles relevant de la sphère privée de leurs utilisateurs (not. TF 7B_94/2022 du 10.10.2024, c. 3.2.3 ; TF 7B_416/2023 du 10.10.2024, c. 3). Partant, la perquisition d’un smartphone privé touche d’office des documents personnels et la correspondance du prévenu au sens de l’art. 264 al. 1 let. b CPP (c. 2.7).

De tels documents ne bénéficient toutefois pas d’une protection absolue (TF 7B_711/2024 du 20.11.2024, c. 3.2). Le Tribunal fédéral a considéré, à plusieurs reprises, que le simple fait d’évoquer abstraitement l’existence d’une correspondance ou de photos privées est insuffisant pour établir un intérêt digne de protection à un secret justifiant une levée des scellés au sens de l’art. 248 al. 1 CPP (p. ex. TF 7B_123/2023 du 29.11.2023, c. 3.1 ; TF 7B_292/2023 du 31.08.2023, c. 2.1). Plus encore, pour revendiquer un intérêt digne de protection au maintien du secret selon l’art. 248 al. 1 CPP et démontrer un préjudice irréparable selon l’art. 93 al. 1 let. a LTF, l’intérêt individuel à la protection de la personnalité doit l’emporter sur l’intérêt public à la poursuite pénale. En d’autres termes, un recours contre une décision de levée des scellés sur un téléphone portable n’est admissible que si le recourant établit que l’intérêt à la protection de sa personnalité prévaut sur l’intérêt à la poursuite pénale dans le cas d’espèce (c. 2.4, 2.5 et 2.7).

In casu, le recours est irrecevable, dès lors que le recourant se limite à alléguer, de manière non étayée, la présence sur son téléphone portable de photos et vidéos sexuellement explicites de lui et de sa compagne, sans démontrer en quoi son intérêt à la protection de sa personnalité l’emporterait sur l’intérêt à la poursuite pénale. Il convient de donner raison à l’autorité précédente, qui a considéré que la gravité des soupçons pesant sur le prévenu (l’importation de 7,18 kg d’un mélange contenant de la cocaïne) doit mener à considérer que l’intérêt public à l’élucidation de l’infraction l’emporte largement sur l’intérêt à la protection des documents personnels (c. 2.8).

Le recours est par conséquent irrecevable (c. 3).

III. Commentaire
Le présent arrêt est destiné à la publication au vu de la révision de l’art. 248 CPP, entrée en vigueur le 1er janvier 2024. Pour rappel, l’ancienne version de la norme mentionnait, de manière large, la mise sous scellés des documents ne pouvant pas être perquisitionnés en raison du droit du prévenu « de refuser de déposer ou de témoigner ou pour d’autres motifs ». Les secrets dignes de protection dans la procédure de levée des scellés ont été alignés sur les motifs d’exclusion du séquestre prévus à l’art. 264 CPP, et ainsi restreints. Pour autant, la possibilité d’invoquer des secrets privés a été maintenue du fait de ce renvoi légal sans réserve, contrairement à la proposition qui avait été faite durant les travaux parlementaires (cf. FF 2019 6351, 6402 s). L’arrêt ici résumé laisse toutefois penser que l’intérêt à la protection de données personnelles, qui relèvent pourtant dans ce cas de la sphère intime du prévenu, ne peut que difficilement s’imposer en matière de lutte contre le commerce et la consommation de stupéfiants sur la base du quatrième pilier qu’est la répression (art. 1a let. d LStup), à tout le moins en cas d’infractions graves. En tant que droit fondamental, la protection de la sphère/vie privée (art. 13 Cst. et 8 § 1 CEDH) devrait toutefois, à notre sens, primer sur la poursuite d’infractions contraventionnelles ou non punissables au sens des art. 19a (consommation personnelle), respectivement 19b LStup (actes préparatoires relatifs à des quantités minimes de stupéfiants), à condition que le recourant expose les faits propres à rendre vraisemblable l’atteinte au secret invoqué et, dans le prolongement, à démontrer un préjudice irréparable (sur cette exigence, cf. not. ATF 142 IV 207, c. 11 ; ATF 141 IV 284, c. 2.3).

Proposition de citation : Camille Montavon, Levée des scellés sur un téléphone portable contenant des images intimes : l’intérêt à la poursuite pénale prime sur celui à la protection de la personnalité, in : https://www.crimen.ch/330/ du 29 avril 2025